Véritable dialogue de sourds

Manifestation et rencontre à Dornach

Source et copyright :
Le Journal du Jura
Vendredi 5 octobre 2007
Auteur : Philippe Oudot
Hier une délégation de Solidarité Boillat s'est rendue à l'usine Swissmetal de Dornach pour distribuer des tracts aux ouvriers afin de les inciter à se mobiliser. Elle a aussi rencontré le directeur Volker Suchordt pendant près d'une heure.
Hier, sur le coup de 14h, une bonne dizaine de membres de Solidarité Boillat ont débarqué à l'entrée de l'usine Swissmetal, à Dornach. Juste avant le changement d'équipes. Ils ont sorti un coffre-fort bricolé en carton afin d'illustrer le fossé entre le salaire du CEO Martin Hellweg et le sort des 146 employés que Swissmetal s'apprête à licencier. Après une brève altercation avec l'employé de faction qui lui interdisait l'entrée du site, la délégation a pu distribuer des tracts aux employés qui quittaient l'usine.

Quelques minutes plus tard, le directeur industriel et vice-président du groupe Volker Suchordt a accepté de rencontrer le groupe. Il était accompagné d'un cadre, Philippe Fuchs, qui assurait la traduction. La délégation Solidarité Boillat était emmenée par Fred Charpié, fondateur de l'uZine 3. Les discussions ont duré une bonne heure dans le calme, le ton montant parfois quelque peu.

Fred Charpié s'en est pris à la stratégie du groupe «dont le but ultime est de fermer la Boillat. Vous êtes en train de parvenir à vos fins.» Gardant son sang-froid, Volker Suchordt a rétorqué que son objectif est d'assurer la pérennité du groupe à long terme. Et cela passe par une phase de restructuration douloureuse, mais indispensable.

Aujourd'hui, Swissmetal a dû faire appel à une banque étrangère pour obtenir des lignes de crédit, preuve que les banques suisses ne lui font plus confiance. Cette créancière serait d'ailleurs si méfiante qu'elle a exigé la mise en gage du stock. Des griefs balayés par le directeur. Swissmetal travaille avec une banque étrangère parce que les conditions de prêts sont meilleures. Un point c'est tout. Quant au stock mis en nantissement, c'est une pratique courante au niveau international.

«Mais comment expliquez-vous que nombre de vos employés pensent que Swissmetal est condamné?» Les gens pensent ce qu'ils veulent, mais «notre stratégie est adéquate, les chiffres montrent que nous allons dans la bonne direction», a répliqué le directeur, faisant à moitié s'étrangler de rage les membres de Solidarité Boillat. Il a dénoncé les activistes de Reconvilier et certains médias (sic) qui ne cessent de peindre en noir la situation sans jamais relever les points positifs. La productivité aurait ainsi quasi doublé à Reconvilier, hausse qu'il a attribuée aux cadres allemands de Lüdenscheid. Le taux d'absentéisme serait revenu à la normale, signe d'une meilleure motivation du personnel.

Et lorsque Fred Charpié a brandi des chiffres illustrant une baisse de la production, Volker Suchordt a botté en touche, assénant que ses chiffres sont fantaisistes, sans rapport avec la réalité. Quant à la baisse dramatique de la qualité, il l'a totalement minimisée, assurant que Swissmetal effectue tous les contrôles et que la satisfaction des clients est en hausse. Et d'asséner que c'est la grève qui a surtout pénalisé les clients.

Interpellé à propos des machines à l'arrêt par manque de matière, le vice-président a rétorqué que si elles étaient à l'arrêt, c'est qu'il était économiquement plus rationnel de faire tourner moins de machines, mais plus longtemps afin de réduire les coûts de production. Accusé d'avoir pillé les stocks et de ne plus avoir assez de matière pour assurer la production, Volker Suchordt a objecté que ces ventes ont permis d'optimiser les stocks et de financer les lourds investissements en cours.

Apostrophant son interlocuteur qui s'est dit pour le moins surpris par son aplomb, voire son cynisme, le directeur industriel a rétorqué qu'il fallait avoir des nerfs pour prendre des décisions nécessaires, même si elles sont douloureuses, «mais je préfère avoir un groupe qui fonctionne bien avec 600 collaborateurs plutôt qu'il se plante avec 1000».

Une des Femmes en colère s'est étonnée de voir Swissmetal réduire ses effectifs d'un tiers alors que l'économie est florissante. Volker Suchordt a rétorqué que Swissmetal n'est pas un cas particulier, mais que toute la branche des cuivreux semi-finis connaît les mêmes difficultés dues à la concurrence asiatique.

A la fin de l'entretien, une des Femmes en colère lui a remis symboliquement quelques fausses piécettes et des fac-similés de billets «pour vous aider à acheter de la matière pour faire tourner les machines».

Propositions bienvenues

Secrétaire d'Unia pour la région Nord-Ouest, Bruno Baumann indique que sur proposition du syndicat, les employés de Dornach vont mettre à profit la période de consultation prévue par la CCT avant les licenciements annoncés pour tenter d'en réduire l'impact. Une urne a été placée pour permettre au personnel de faire des propositions à même de sauver une partie des emplois. «Nous allons ensuite rassembler ces propositions dans un rapport et le remettre au secrétaire central qui négocie avec Swissmetal. Nous espérons que cette démarche permettra d'aboutir à quelque chose de positif.»

«On ne peut rien faire»

Si la plupart des employés se sont contentés de prendre le tract remis par Solidarité Boillat sans dire un mot, quelques-uns ont accepté de donner leur sentiment. Oui, ils sont inquiets pour leur avenir professionnel. Oui, ils craignent de faire partie de la charrette annoncée. Un d'entre eux salue la manifestation organisée car même si elle ne fait pas bouger les choses, elle démontre que du côté de Reconvilier, on reste sur le qui-vive. Un avis que ne partage pas un collègue pour qui si le groupe est dans la panade, c'est aussi une conséquence des deux grèves de la Boillat. Un frontalier se montre quant à lui des plus fatalistes. «Vous savez, je travaillais avant dans une entreprise de métallurgie française qui a restructuré en 2005. J'ai fait partie des licenciés. Ce qui se passe maintenant ici ne m'étonne pas. Pour moi, c'est hélas du connu, mais on ne peut rien faire


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Actualisé le 05.10.07 par webmaster
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