Grève locale contre la globalisation

Source : Le Courrier
Date : jeudi 25 novembre 2004
Auteur : Michel Schweri
Copyright : Le Courrier
La popularité de la lutte de Boillat tient à la conjonction de plusieurs dimensions, alliant un ras le bol de la globalisation avec ses conséquences concrètes et se cristallisant contre un symbole de toute restructuration: le patron.
Après neuf jours de grève avec occupation de l'usine, la lutte des ouvriers et employés de Swissmetal Boillat à Reconvilier dévoile une vivacité peu commune. L'épreuve de force se cristallise, du point de vue des salariés, sur la demande de départ de Martin Hellweg, patron du groupe métallurgique. Pour ce dernier, la mise à l'écart de son «Chief executive officer» est hors de question. Voilà pour la face visible de la grève.

A distance, on perçoit toutefois d'autres dimensions dans cette épreuve de force menée par les salariés. Entre, d'une part, la lutte contre le risque un peu diffus de délocalisation de l'entreprise dans une dynamique de globalisation et, d'autre part, l'opposition aux conséquences bien concrètes de ce processus. Ces deux axes se concrétisent dans le rejet du symbole de cette évolution: le patron de la boîte. Il ne s'agit donc nullement d'un simple conflit de personnalité, comme voudrait le laisser penser Martin Hellweg.

La dimension «immatérielle» des revendications des employés trouve son origine dans les plans de restructuration de l'entreprise, pilotée à distance par la direction générale du groupe métallurgique sous l'impulsion de ses actionnaires. Cette restructuration «globalisante» délocalise Boillat, pas tant en déménageant physiquement la production, mais surtout en éloignant les sphères décisionnelles du terrain local, sur lequel s'est bâtie la renommée de l'entreprise. Les cadres de l'usine de Reconvilier ont alors sérieusement critiqué les options stratégiques de la direction en octobre 2004. Six semaines plus tard, le 16 novembre, le directeur local de l'entreprise Boillat est remercié avec effet immédiat –et remplacé par le directeur de l'usine Swissmetal de Dornach– entraînant l'arrêt de travail, tout aussi immédiat. Les grévistes veulent dès lors la réintégration de «leur» directeur et le départ du «dégraisseur». Les cadres intermédiaires de Reconvilier d'autant plus, car ils n'ont pas confiance dans les décisions prises en haut lieu, loin de l'usine. Martin Hellweg a donc beau jeu de présenter cette grève comme une manoeuvre de cadres locaux influents voulant préserver leur pré carré.

Derrière tout cela se profile toutefois une réalité vécue dans leur chair par les ouvriers et employés de Boillat. Ils critiquent le remplacement d'anciens salariés expérimentés par des intérimaires mal aguerris. Ce que l'entreprise confirme par la bande en constatant, dans une lettre d'information à ses partenaires, «que les coûts d'apprentissage des nouveaux collaborateurs [...] représentent un poste de coûts significatifs et pénalise notre résultat dans un premier temps». On comprend aisément entre les lignes que les salariés ne représentent plus la richesse de l'entreprise, mais un simple «centre de coût», à réduire autant que possible.

Les ouvriers savent également que les actionnaires ne sont pas des philanthropes. Si des investissements de 50 à 75 millions de francs sont promis dans l'usine Boillat de Reconvilier, il s'agira de rentabiliser ces sommes sur le travail du personnel. Ils craignent ainsi les conséquences du plan de restructuration mis en place en juin lors de la recapitalisation de l'entreprise. La même lettre d'information patronale annonce en effet le besoin d'«une plus grande souplesse face aux entrées cycliques de commandes». Martin Hellweg appelle donc ses employés à «faire preuve d'esprit d'équipe et de solidarité» pour accepter de «travailler plus en période de vaches grasses et moins en période de vaches maigres».

Allant déjà dans ce sens, les chiffres comparatifs publiés par Swissmetal démontrent que les charges de personnel ont crû de 370000 francs entre les premiers semestres de 2003 et de 2004 et que l'effectif d'employés a augmenté de 40 postes à plein temps, soit 9200 francs par tête! Cela révèle donc une régression des revenus individuels moyens.

Ces deux dimensions de la lutte, fusionnant dans la revendication unique du départ de Martin Hellweg et désignant ainsi une cible «à portée de mains», expliquent enfin le large succès du mouvement de grève: les ateliers et les bureaux participent de conserve à l'action, le soutien populaire et institutionnel dans la région ne fait pas un pli, au point que les manifestations quotidiennes regroupent bien plus de monde qu'il n'y a de grévistes, voire, comme celle d'hier soir, rassemblent des forces bien au-delà du canton.

Malheureusement, ce genre de revendication «idéelle» n'entre pas dans le cadre de négociations traditionnelles devant déboucher sur un protocole d'accord, coupant non moins traditionnellement la poire en deux. Une telle lutte «globale» a ainsi de la peine à s'intégrer dans le pragmatisme syndical ou patronal. Peut-être l'accord trouvé sous l'égide des autorités bernoises sera-t-il finalement accepté, même par la partie perdante. Mais l'expérience acquise dans cette grève d'un genre nouveau ne s'effacera pas de sitôt.


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