Un quart des emplois à la trappe

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Le Journal du Jura
Mercredi 13 juin 2007
Auteur : Philippe Oudot
Jugeant les performances de la Boillat et de Dornach insuffisantes par rapport à Busch-Jaeger, Swissmetal va supprimer 153 postes en Suisse d'ici à fin novembre. Et le groupe confie les rênes des deux sites suisses à des cadres allemands.
Ala Boillat, la descente aux enfers se poursuit. «La seule chose qui change, c'est que Dornach est désormais embarqué dans la même galère», lance, un rien désabusé, un ancien cadre de Boillat.

Hier matin, le conseil d'administration du groupe a en effet annoncé que la restructuration se poursuivait, conformément au concept industriel présenté à fin 2005 et qui prévoit la concentration des activités de transformation à chaud à Dornach. En conséquence, annonce le groupe, 153 des 606 postes que comptent les deux sites vont être supprimés. Le sacrifice se fera à part plus ou moins égale entre Reconvilier et Dornach, indique Sam Furrer, responsable de la communication de Swissmetal (voir le détail plus loin).

En fait, explique-t-il, cette mesure s'avère indispensable en raison de la faible productivité des deux sites suisses. Selon Swissmetal, «la direction veut relever le niveau de performance des usines en Suisse pour atteindre celle de Lüdenscheid». La valeur ajoutée brute (VAB) par collaborateur et par mois y atteindrait 20 000 fr., alors qu'elle serait de 20% inférieure à Dornach, et même de 40% à Reconvilier. Selon Sam Furrer, la différence entre les deux sites suisses s'explique par la grève de Reconvilier. Quant à la différence avec Lüdenscheid, «c'est, mis à part la grève, parce que le site allemand a été bien restructuré avant que nous le rachetions l'an dernier».

Pour atteindre les objectifs fixés, Swissmetal a aussi coupé quelques têtes à la direction, désormais en mains allemandes: Volker Suchordt, actuel responsable du domaine industriel du groupe et bras droit d'Hellweg, prend la direction de Dornach. Son collègue Manfred Gröning, actuel directeur de Busch-Jaeger, dirigera également l'usine de Reconvilier. Une germanisation de la direction accentuée par l'éviction de cadres actuels à Reconvilier et à Dornach (voir le texte ci-dessus), remplacés par des nouveaux venus de Lüdenscheid «qui ont fait leurs preuves», assure Swissmetal. Et tant pis s'ils ne parlent pas un mot de français...

S'agissant du moment où les 153 suppressions de postes seront effectives, Sam Furrer reste vague, reprenant les termes du communiqué: «au cours des prochains 18 mois». Mais en réalité, les choses vont se passer beaucoup plus vite. Tout d'abord, conformément aux dispositions de la CCT sur les licenciements collectifs, «un délai approprié doit être accordé» aux commissions du personnel pour faire des propositions pour en atténuer l'impact. La CCT indique qu'«en règle générale, ce délai est de 12 jours ouvrables».

En clair: Swissmetal veut envoyer les premières lettres de licenciement à fin juin. Une perspective que contestent Unia et les commissions, qui exigent une phase de consultation plus longue, ce qui permettrait de reporter l'échéance d'un mois. Par ailleurs, Unia conteste le chiffre de 153 licenciements avancés par Swissmetal: il y en aurait en réalité 208, qui vont se dérouler en deux phases: d'ici à fin juin (ou fin juillet), 65 personnes vont recevoir leur congé, 20 à Reconvilier, et 45 à Dornach. Il s'agit principalement de postes dans la technique, de la maintenance et de la logistique. La différence s'explique parce que Dornach compte beaucoup plus de personnes qui ne sont pas affectées directement à la production. Sur ces 65 personnes, 44 se verront proposer un réengagement, mais à d'autres conditions (fonction, salaire, site, etc).

Puis, d'ici à fin novembre, voire plus tôt, Swissmetal veut encore congédier 143 autres collaborateurs: 73 à Reconvilier, et 70 à Dornach. Sur ces 143 licenciements, il y aura 132 suppressions de postes, 11 personnes devant se voir proposer un nouveau contrat à d'autres conditions. Pour Bruno Schmucki, porte-parole d'Unia, cette façon de faire vise à camoufler l'ampleur réelle des licenciements, car pour beaucoup de gens à qui Swissmetal va proposer un réengagement, il sera sans doute difficile d'accepter le changement proposé: par le passé déjà, Swissmetal n'a pas hésité à proposer à des employés de bureau en emploi derrière une machine, ce qui n'est pas évident. Cela signifie donc qu'une bonne partie de ces gens seront bel et bien licenciés.

Par ailleurs, constate Fabienne Blanc-Kühn, membre du comité directeur d'Unia, le nombre de licenciements est bien plus élevé que ce qu'avait annoncé Swissmetal à fin 2005. A l'époque, le groupe parlait de 150 suppressions de postes. Or, depuis, une centaine d'emplois ont déjà passé à la trappe. «En tout, on peut donc bel et bien parler de 300 licenciements!», tonne-t-elle, ajoutant que cela démontre bien que le concept industriel de Swissmetal ne tient pas la route et qu'il ne conduit qu'au pillage de la substance industrielle des sites de Reconvilier et de Dornach.

Dans ce contexte, Unia exige que le conseil d'administration engage des négociations immédiates avec les commissions et le syndicat; qu'il prolonge de délai de consultation; et enfin que les négociations pour un plan social, en cours depuis l'automne dernier, aboutissent enfin.

Restructuration dans les étages supérieurs

Des cadres qui s'en vont «d'un commun accord»

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Source : der Bund

Chez Swissmetal, les cadres sont comme des kleenex: prêts à jeter. Lundi, Henri Bols (photo), directeur industriel des deux sites suisses, Sylvain Petitdemange, chef des fonderies, et Karl Meyer, nommé chef du site deux semaines plus tôt (en remplacement de Hans-Peter Weidlich), et d'autres encore à Dornach ont tous été virés séance tenante. A l'évidence, la fidélité à la direction ne garantit pas une place au soleil...

Swissmetal? Non, Germanmetal...

La cohérence n'a jamais été la qualité première de MM Hellweg, Sauerländer et consorts. Il y a tout juste quatre semaines, lors de l'assemblée générale du groupe, le conseil d'administration avait dit à ses actionnaires que «les résultats de l'exercice 2006 sont au-dessus de nos attentes». Et voilà qu'hier, ce même conseil d'administration annonce tout de go qu'il va licencier 153 personnes, notamment parce que les performances de ses sites de Dornach et de Reconvilier sont respectivement 20 et 40% inférieures à celles de l'usine de Lüdenscheid! Faudrait savoir…

Ce qui est sûr, c'est que l'étau financier se resserre autour du groupe. Etant incapable de gagner de son eau chaude, il use de tous les subterfuges pour faire rentrer des liquidités et réduire ses coûts. Il continue donc de brader par dizaines de tonnes ses stocks de matières premières et, dans le même temps, taille dans ses effectifs. En annonçant «153 suppressions de postes», la direction cherche à faire croire qu'il ne s'agit là que de la concrétisation de sa stratégie annoncée à fin 2005. A l'époque, Martin Hellweg avait en effet parlé d'une baisse d'effectifs de l'ordre de 150 postes. Mais depuis, Swissmetal en a déjà supprimé une bonne centaine, essentiellement à Reconvilier. De plus, ce ne sont pas 153 licenciements qui seront prononcés d'ici à novembre prochain, mais plus de 200. Avec, certes, la promesse de nouveaux contrats pour une cinquantaine de personnes. Mais chez Swissmetal, le personnel sait depuis belle lurette que les promesses n'engagent que ceux qui veulent bien y croire.

Après avoir étouffé la Boillat, Hellweg est en train de piller définitivement les derniers restes de son savoir-faire, à destination de Lüdenscheid. Pour cela, il a mis en place une direction purement allemande. D'ici peu, Swissmetal risque bien de s'appeler Germanmetal. Et pour mieux faire passer la pilule, il prétend que ses managers ont fait leurs preuves. Hellweg a en effet raison: c'est sous la férule de Volker Suchordt que l'usine Busch-Jaeger est partie en faillite, il y a quatre ans…

Swissmetal ne convainc pas

Des arguments sans aucun fondement

L'annonce faite hier par Swissmetal n'est pas vraiment une surprise, tant la situation financière du groupe est délicate, malgré ses dénégations. Pour tenter de se donner un peu d'air, il serait à nouveau en train de vendre sur le marché 1000 tonnes de cuivre. Fin connaisseur de la Boillat et du groupe Swissmetal, X. Y. dénonce avec force la façon dont le groupe manipule l'information. «Prétendre que l'usine allemande dégage une VAB largement supérieure est un pur mensonge. En 2000, une étude de Mc Kinsey avait mis en évidence l'extraordinaire performance de la Boillat, alors que Busch-Jaeger perdait du fric. Or, même si le site de Lüdenscheid a été restructuré, il a toujours les mêmes installations et n'a pas développé de produits phares. Impossible donc d'être aussi performant que Swissmetal le prétend avec des produits standards. Ce qui est vrai par contre, c'est que Hellweg a complètement détruit le savoir-faire et le patrimoine de la Boillat!»

Il s'étrangle également de rage en apprenant que Swissmetal a donné à Gröning pour mission de faire que la Boillat se spécialise dans la fabrication de fils et de barres à haute valeur ajoutée: «C'est un comble! C'était justement le cœur des spécialités Boillat que Hellweg a détruites avec sa stratégie suicidaire. Swissmetal se fout du monde! Hellweg se présente comme le sauveur du groupe, alors qu'il en est le liquidateur!».

Pour notre interlocuteur, la meilleure preuve que Swissmetal est au bout du rouleau, c'est que le groupe licencie un quart - et peut-être même un tiers - de son personnel alors que la concurrence ne sait plus où donner de la tête pour satisfaire ses clients. «Vous ne trouvez pas cela étrange, vous?»

Autre observateur avisé de la Boillat, Y. Z. constate que les Allemands sont bel et bien en train de s'emparer du groupe, avec la mainmise de Suchordt et de Gröning, entourés d'une clique de fidèles. A tel point que Swissmetal devrait presque être rebaptisé «Germanmetal». S'agissant de la productivité qui serait supérieure chez Busch-Jaeger, il s'étonne de voir la direction se livrer à une telle comparaison, alors qu'il y a quelques mois encore, elle affirmait que les systèmes comptables entre l'usine allemande et les deux sites suisses n'étaient pas comparables.

Par ailleurs, il constate que Swissmetal annonce ces suppressions d'emplois alors même que le groupe est en négociation depuis des mois pour un plan social. Et de souligner que la longueur de ces pourparlers démontre la mauvaise volonté du groupe d'aboutir. Quant au fonds que Swissmetal évoque pour éviter les cas de rigueur, il rappelle que l'argent de la Fondation patronale en faveur du personnel Boillat ne peut être utilisé à d'autre fin que pour venir en aide aux employés de la Boillat. Pas question donc que Swissmetal s'en empare pour financer l'ensemble de son plan social.

La saignée continue

Le comité de soutien à la Boillat constate que Swissmetal a baissé le masque et annonce bel et bien la poursuite de sa chute. A propos du chiffre d'affaires par collaborateur, qui serait inférieur de 40% à Reconvilier par rapport à Lüdenscheid, «ce qui reste à vérifier, c'est en raison des mesures absurdes imposées» à la Boillat, souligne-t-il. Et le comité de condamner une fois encore la politique suicidaire de démantèlement de MM. Hellweg et consorts.

Quelques réactions

Au cœur du village de Reconvilier, l'atmosphère était hier à l'image du temps: lourde et plombée. Comme la population, la plupart des employés rencontrés l'après-midi avaient appris la nouvelle des licenciements par les médias. La surprise n'était pourtant pas vraiment de taille. «Depuis le temps qu'on nous mène en bateau, on s'attend à tout et on ne s'étonne de plus rien!», disait l'un.

Le ton n'était plus à la colère ni même à la résistance. Une espèce de lassitude assortie d'un sourire morose, qui en disait long sur l'état d'esprit des gens se lisait sur les visages. Un haussement d'épaules pour toute réponse, c'était bien plus par écœurement cette fois, que par peur des représailles que l'on esquivait les questions. «On vit au jour le jour et on attend de voir si l'on est sur la liste…», affirmait un autre.

«De toute façon, ils nous racontent ce qu'ils veulent, mais à la fin de l'année la Boillat sera fermée», renchérit un troisième. Et puis au final on entendra cette remarque: «Et bien voilà: il y a quelques années, quand l'usine de Lüdenscheid était au bord du gouffre, son directeur allemand Suchordt avait juré qu'il aurait sa petite revanche; eh bien, c'est fait!»/


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