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La Boillat | Nicolas Wuillemin
Mais «Nico», comme les surnomment les Boillats, n'est pas homme à se laisser rouler dans la farine. Le 14 novembre dernier, quand Swissmetal a annoncé sa décision définitive de concentrer ses activités de fonderie à Dornach, lui-même et les commissions ont considéré cela comme une violation flagrante de ce fameux protocole d'accord. Il a d'emblée convoqué une assemblée du personnel pour faire le point. Une assemblée que la direction a jugé comme un acte de rébellion, malgré le feu vert qu'elle avait pourtant accordé. Deux jours plus tard, Nicolas Wuillemin recevait une lettre d'avertissement le menaçant de licenciement pour «appel à la grève». Pas de quoi pourtant ébranler un militant qui compte 40 ans de syndicalisme au compteur. Dans la foulée, les présidents des deux commissions ont lancé plusieurs mises en garde à l'adresse du management, l'invitant à respecter ses engagements. Peu avant Noël, dans une lettre recommandée envoyée au président du conseil d'administration Friedrich Sauerländer, ils annonçaient très clairement que la situation devenait aussi explosive qu'à la veille de la grève de novembre 2004. La tête dans le sable Mais rien n'y fit. Ignorant les mises en garde, le conseil d'administration et la direction ont sciemment laissé pourrir la situation jusqu'à ce fameux 25 janvier, quand les employés ont décidé de se mettre en grève à une majorité de plus de 87%. «Je me demande parfois s'ils n'attendaient pas que ça...», s'interroge aujourd'hui Nicolas Wuillemin. «Martin Hellweg a en tout cas utilisé notre grève comme argument pour justifier ses décisions de démanteler notre site.» Ce débrayage a également été le prétexte tout trouvé pour licencier celui qui incarnait cette lutte. Mais en réalité, Swissmetal n'a pas attendu la grève pour agir: le 23 janvier, soit deux jours avant le début du conflit, la direction lui adressait un préavis de licenciement sous prétexte que son poste de travail allait être supprimé. Dans le même temps, elle lui proposait une place à la tréfilerie... «C'est tout simplement ridicule! D'une part, parce que je suis dessinateur et que je n'ai jamais travaillé sur une tréfileuse. Et d'autre part, parce qu'au bureau technique, nous n'étions que deux dessinateurs et avions déjà toutes les peines du monde à suivre. Ça montre bien qu'on voulait m'écarter.» Ce sera chose faite le 27 janvier. Deux jours après le début de la grève, «Nico» recevait un pli recommandé lui signifiant qu'il était licencié avec effet immédiat et interdit de site, l'entreprise se réservant même le droit de lui réclamer des dommages et intérêts! «Ils ont cherché un bouc émissaire en ma personne, puisque sur la quinzaine de membres des commissions, j'ai été le seul à avoir reçu ma lettre de licenciement.» Pas de quoi toutefois impressionner notre homme. Durant les 30 jours du conflit, il sera là, fidèle au poste, s'impliquant à fond malgré son renvoi. «En fait, j'étais tellement accaparé par notre lutte que je ne me suis inscrit au chômage qu'à mi-février», explique-t-il. Aujourd'hui, avec le recul, «je me dis que la lutte que nous avons menée valait la peine, même si nous n'avons pas gagné notre combat. En tout cas, je ne regrette rien, et je recommencerais si c'était à refaire. Celui qui ne prend pas de risques n'arrive jamais à rien.» «Je ne cède pas à la déprime»Comme tout chômeur, Nicolas Wuillemin voit régulièrement le conseiller personnel que lui a attribué l'Office régional de placement (ORP) pour faire le point et lui montrer qu'il effectue bel et bien les démarches de recherches d'emploi. «Au début, je ne me faisais pas vraiment de souci, d'une part parce que notre lutte m'accaparait totalement, et d'autre part parce que nous avions tous bon espoir d'obtenir gain de cause et que Hellweg finirait par vendre la Boillat. Mais lorsque cette solution a été écartée par Swissmetal, notre espoir d'une usine indépendante s'est peu à peu estompé.»Et au fil des semaines, il est apparu clairement que le bras de fer tournait à leur désavantage. Dans le cadre de la médiation, Swissmetal ne montrait en effet aucune volonté de trouver une solution. Et si la direction a bien réengagé du personnel, elle n'a repris qu'une petite partie des licenciés, embauchant plutôt des externes - dont beaucoup de frontaliers. «Des gens qui ne connaissent rien aux spécialités Boillat, mais qui sont plus dociles.» De plus, les personnes engagées ont dû passer par des agences de travail temporaire. «Officiellement, la direction dit agir ainsi parce qu'elle ne peut pas leur garantir un emploi à long terme en raison des incertitudes pesant sur le carnet de commandes. Mais un ancien collègue réengagé ainsi m'a dit être sidéré de voir à quel point le savoir-faire de la Boillat a été vilipendé et en bonne partie anéanti par la mise à l'écart des cadres et des nombreux collaborateurs spécialisés», indique Nicolas Wuillemin. Aujourd'hui, malgré toutes les réponses négatives à ses postulations, il ne perd pas courage - «je suis un optimiste de nature». Ne craint-il pas de figurer sur une liste noire en raison de ses activités de leader syndical? «Non. Ici, les employeurs savent bien qu'on s'est battu pour défendre notre outil de travail, pas par esprit rebelle. J'ai d'ailleurs toujours eu de bons rapports avec mes patrons, car tous savent que je suis quelqu'un de loyal. Et si je suis prêt à me battre pour ce que j'estime juste, je suis un syndicaliste pragmatique, pas un syndicaliste idéologique. Dans une négociation, c'est toujours du donnant-donnant.» Et si une partie de ses collègues ont retrouvé un job et pas lui, cela tient avant tout au fait qu'il y a peu de débouchés dans son métier. Son âge (59 ans) ne facilite pas les choses, car un patron y regarde à deux fois avant d'engager une personne qui arrive dans la soixantaine en raison des charges sociales plus élevées qu'il doit débourser. Le plus pénible, souligne-t-il, c'est que peu d'entreprises offrent la possibilité d'un entretien d'embauche. «Or, c'est le meilleur moyen pour montrer ce qu'on vaut vraiment. Impossible de le faire dans une lettre de postulation.» Aujourd'hui, Nicolas Wuillemin reste optimiste quant à son avenir. «Je refuse, comme beaucoup, de me dire que plus le temps passe, plus mes chances de retrouver un job s'amenuisent. J'ai envie, la force et l'énergie de travailler, et j'ai confiance en mes capacités. Je refuse de me dire qu'après 55 ans, un travailleur n'a plus sa place dans le monde du travail. C'est un peu la même chose pour les jeunes à qui on refuse un premier emploi sous prétexte qu'ils n'ont pas d'expérience. Ce n'est pas acceptable.» Après Nicolas, au tour de MariaEtre membre d'une commission est décidément un poste à hauts risques chez Swissmetal. Après avoir éliminé le président de la délégation des employés Nicolas Wuillemin au début de la grève, la direction avait ensuite licencié deux autres membres de cette même commission en juin dernier. A noter que tous deux étaient aussi membres de la délégation à la médiation. Et jeudi dernier, c'était au tour de l'épouse de Nicolas Wuillemin, Maria, membre de la commission d'entreprise et de la médiation, d'être dans le collimateur de Swissmetal.Ce jour-là, elle a en effet été convoquée dans le bureau du directeur industriel Henri Bols qui, avec Hanspeter Weidlich, responsable ad interim du «finishing», lui a remis une lettre lui signifiant son préavis de licenciement. Motif invoqué par les intéressés: en raison de la chute de commandes au département lopins, consécutive à la grève, il n'y avait plus de travail pour elle. Comme le relève Maria Wuillemin, «c'est quand même surprenant que je sois la seule concernée dans le département...» Surprenant également que la direction ne lui ait pas proposé un autre poste, dans la mesure où elle continue d'embaucher. Invitée à signer son préavis de licenciement, Maria Wuillemin a évidemment refusé. D'autant que la missive contenait des contrevérités: «Il était notamment écrit que j'avais refusé d'aller travailler au département d'attachage - ce qui est totalement faux! Depuis que je travaille, je n'ai jamais refusé le moindre changement de poste! J'ai demandé à ces deux messieurs à qui j'aurais adressé un tel refus et ils n'ont pas su quoi répondre.» En fait, précise-elle, «la seule chose que j'avais dite à propos du département d'attachage, c'est que j'étais prête à essayer, mais qu'il faudrait voir si ce travail était adapté pour moi, car j'ai un problème musculaire aux mains.» Pour en avoir le cœur net à propos de ce prétendu refus, elle est allée trouver son chef d'équipe ainsi que le responsable d'atelier. Tous deux ont confirmé que tel n'était pas le cas, témoignages aussitôt transmis à un Hanspeter Weidlich plutôt emprunté. «Vous cherchez donc à nous éliminer les uns après les autres?», lui a-t-elle lancé. Finalement, Maria Wuillemin a pris contact avec André Daguet, membre du comité directeur d'Unia, pour lui faire part de sa situation et contester ce préavis de licenciement. La CCT de la branche donne en effet un délai de cinq jours pour le faire. Une rencontre devrait donc avoir lieu entre la direction et Swissmem d'une part, le syndicat et Maria Wuillemin d'autre part pour examiner le cas. Et de relever que chez Swissmetal, le discours est vraiment en contradiction flagrante avec les actes: mercredi dernier, Maria Wuillemin participait, avec les commissions, à une réunion avec la direction à Dornach. Ce jour-là, cette même direction affirmait qu'il était temps de renouer un dialogue constructif. «On voit de quel genre de dialogue il s'agit puisque le lendemain, on m'annonce mon préavis de licenciement...» Article précédent | Article suivant | Sommaire des articles A lire aussi
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Actualisé le 19.11.06 par webmaster
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