Swissmetal Boillat | Chronique d'une déconfiture annoncée

«Le scénario catastrophe que nous avions annoncé est devenu la réalité»

Source : Journal du Jura
Date : vendredi 14 juillet 2006
Auteur : Philippe Oudot
Copyright : Journal du Jura
La production à la Boillat reste très chaotique. Cela n'est pas dû à la grève de janvier dernier, mais bien à l'incompétence des responsables mis en place par la direction générale à fin 2005, accuse un employé.
L'an dernier la production moyenne de la Boillat s'élevait à plus de 60 tonnes d'alliages par jour. Ces dernières semaines, celle-ci variait entre 20 et 25 tonnes. A eux seuls, ces chiffres illustrent toute l'étendue du désastre qui frappe la Boillat - et donc ses clients.

Une situation qui n'étonne guère X. Y. (nom connu de la rédaction), collaborateur de la Boillat. «Depuis l'annonce du déplacement de la fonderie de Reconvilier à Dornach, l'automne dernier, Swissmetal a ignoré tous nos signaux d'alarme. La direction générale et le conseil d'administration ont pensé qu'il suffisait de dévisser trois boulons et que l'affaire était jouée. Mais ce n'est pas si simple!», relève-t-il.

La fonderie est en effet un équipement complexe, composé d'une foule d'installations et d'appareils périphériques. En fait, elle se compose de deux installations de coulée en continu (Wertli et Technica) qui produisent des billettes (210, 180 et 160 mm de diamètre); d'un four spécial où des «flocons» de matière en fusion sont projetés sur un barreau où ils s'amalgament de manière homogène en se refroidissant pour fabriquer des alliages très spéciaux (four Osprey); ainsi que de deux installations de coulée fils (une verticale à huit fils et une horizontale à 10 fils), qui produisent des fils d'environ 18 mm de diamètre. Deux installations qui avaient été «oubliées» lors de la décision de transfert de la fonderie, l'automne dernier... Autant dire qu'il est impossible de déplacer une telle installation.

Retour à la case départ


De plus, poursuit notre interlocuteur, ces installations ont été développées pour les besoins spécifiques des alliages Boillat. On ne peut donc pas reproduire les mêmes alliages à l'identique dans des installations différentes. Swissmetal est d'ailleurs en train de s'en rendre compte. La preuve? Mardi, Volker Suchordt, vice-président de la direction générale de Swissmetal et directeur industriel du groupe, est venu à Reconvilier. Il a annoncé qu'une partie des commandes Boillat qui avaient été transférées chez Busch-Jaeger vont y revenir. «Il a présenté cela comme un geste de bonne volonté de Swissmetal. Mais c'est faux! La réalité, c'est que la géométrie des fours à Lüdenscheid ne permet pas de fabriquer les alliages Boillat avec la qualité requise. Sans compter que le personnel n'a pas les connaissances spécifiques pour cela!»

C'est bien cette somme de compétences et de maîtrise technique qui faisait de la Boillat un véritable joyau industriel capable de sortir des alliages frisant la perfection. Cet amour du travail bien fait se retrouvait d'ailleurs aussi dans la fabrication des alliages moins complexes. «Même pour les produits plus standards, les clients appréciaient la qualité des alliages Boillat en raison de leur plus grande homogénéité par rapport à ceux de la concurrence.»

Et si, comme le prétend Swissmetal, une concentration des activités de fonderie se justifiait vraiment sur le plan économique, il aurait été tout à fait possible de tout concentrer à Reconvilier. «A l'usine 2, il y a en effet encore des capacités sur le four Technica, et suffisamment de place pour y installer sans problème d'autres installations de coulée», assure-t-il. Et de poursuivre en assénant que l'erreur de départ a été la décision prise en février 2005 d'implanter à Dornach la nouvelle presse.

Négligence et manque d'entretien

A ce propos, il constate que la nécessité d'une nouvelle presse à Dornach ne tient pas tant au fait qu'il faut une installation plus puissante, comme le justifiait la direction. «Ils ont besoin de cette installation parce que leurs quatre presses sont bientôt hors d'usage en raison de la négligence et du manque d'entretien des machines!», assène notre interlocuteur. «A chaque opération, leur presse principale Kreuzer perd de l'huile de partout! Chez nous, la Klus, qui a déjà plusieurs dizaines d'années au compteur, n'a pas la moindre fuite et fonctionne parfaitement...»

X. Y. souligne également que si la maîtrise du processus de fusion est déterminante pour la qualité du produit, celle du processus d'extrusion à chaud l'est tout autant. Et dans ce domaine, la Boillat avait aussi acquis de très hautes compétences. Notamment grâce à son système de capteurs placés au cœur de la matière. «Si, pour presser une billette, vous montez la température à 800°, elle peut atteindre près de 1000° au centre en raison de l'échauffement lors des opérations d'extrusion. Il faut maîtriser ces phénomènes pour sortir des produits parfaitement homogènes. Sinon, tout particulièrement pour les alliages spéciaux, la matière est bonne pour la benne!»

Des montagnes de déchets

C'est justement ce qui se passe régulièrement depuis plusieurs mois, assène-t-il. Et de citer l'exemple d'un alliage spécial (le NM3), fondu chez Busch-Jaeger, pressé à Dornach, et tréfilé à la Boillat: sur 43 tonnes produites, une seule a pu être utilisée... En fait, poursuit notre interlocuteur, il y a toujours une part de déchets entre la phase fonderie et le produit qui part chez le client, c'est un processus normal. Selon le type d'alliage, ces déchets représentent entre 20 et 30% du volume initial. Mais depuis que la nouvelle équipe a pris les rênes de la production, dans le cadre du nouvel organigramme mis en place en décembre 2005, et plus encore depuis le remplacement de tous les cadres licenciés, la part de déchets avoisine les 40 à 50% pour les alliages communs. Elle grimpe à 70 à 80% pour les alliages spéciaux, voire parfois 100% (c'est le cas par exemple pour le BZ4, le B05 ou le N15)!

Et d'asséner que contrairement à ce que prétend la direction de Swissmetal, la grève n'a rien à voir dans la situation catastrophique actuelle. Pas plus que la prétendue grève perlée avancée par la direction. «Cette situation est due à l'incompétence crasse du nouvel encadrement. Voilà ce qui arrive quand on écarte les gens compétents pour les remplacer par des béni-oui-oui!»

Si c'est la pagaille à la production, la situation n'est guère meilleure au service des ventes. Après la grève, celui-ci a été littéralement décapité dans le cadre des mesures de licenciement, passant d'une vingtaine d'employés à six ou sept personnes. Pas étonnant, dans ces conditions, que les clients se tournent vers d'autres fournisseurs. D'autant que Roderick Tanzer, le nouveau responsable des ventes, a décidé de renoncer à toute commande inférieure à 500 kg. Même si, cumulées sur l'année, elles dépassent la tonne. Et ce n'est pas le déplacement du service des ventes pour certains marchés à Dornach qui a amélioré la situation. Bien au contraire. A tel point qu'il a fallu les rapatrier à Reconvilier. Le problème, c'est qu'avec toutes les personnes licenciées, le service n'a plus les moyens de s'en occuper...

«Malgré tous nos messages d'avertissement, Swissmetal a foncé tête baissée, pensant que nous disions n'importe quoi. Ils sont en train de se rendre compte que toutes leurs décisions leur reviennent en pleine figure. Mais c'est un peu tard...»


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Actualisé le 19.11.06 par webmaster
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