Genève : 4ème Rassemblement pour les droits humains

Discours du 9 octobre de Laurent Moutinot, conseiller d'Etat en charge du Département des institutions

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Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève
Lundi 23 octobre 2006
Les droits humains portent, en règle générale, sur un objet clairement défini - interdiction de la torture, droit au mariage, par exemple - et dont le principe même est très largement admis, en tous cas sous nos latitudes, la discussion portant exclusivement sur les limites de ce droit - où commence la diffamation ou l'incitation à la haine raciale et où finit la liberté d'expression.
Il est intéressant de noter que le 24 septembre dernier, le droit d'asile n'a pas été contesté en tant que tel, mais que seules ses modalités d'application ont été remises en cause - au point certainement de porter atteinte au principe même, mais sans oser l'avouer. Ce qui est peut-être pire d'ailleurs…

La question des droits syndicaux se pose différemment : on entend, même en Suisse, des voix s'élever pour contester que les droits syndicaux soient des droits fondamentaux, voire même pour contester qu'il s'agisse de droits. En Australie, le gouvernement conservateur a revendiqué avec fierté sa volonté politique de réduction du mouvement syndical à l'impuissance et sa volonté, si possible, de l'éliminer. L'ensemble de la législation australienne - depuis le Workplace Relations Act de 1996 - a été condamné par le Bureau international du travail (BIT) comme une violation grave des normes internationales du travail, mais sans beaucoup d'effet à ce jour. Plus près de nous : la Boillat et Swissmetal.

J'ai donc décidé de faire porter le 4ème Rassemblement pour les droits humains, organisé par le Conseil d'Etat, sur la question des droits syndicaux afin de réaffirmer leur caractère de droits humains, de droits fondamentaux.

Genève est particulièrement bien placée pour traiter de cette question puisqu'elle abrite le siège de l'Organisation internationale du travail (OIT) et je m'empresse de remercier, pour leur contribution au succès de cette journée, Monsieur Kari Tapiola, directeur exécutif du BIT et Madame Karen Curtis, directrice adjointe du département des normes internationales du travail, responsable de la liberté syndicale. Je remercie également les syndicalistes qui ont accepté de participer à cette journée, Monsieur Dan Gallin, président de la Fondation Global Labour Institute, Monsieur Janek Kucziewitz, directeur du département des droits syndicaux de la Conférence internationale des syndicats libres (CISL) à Bruxelles, Madame Véronique Blech, représentante du mouvement rural Femmes sans terre de Cuchabamba en Bolivie, Madame Anna Biondi, directrice du bureau genevois de la CISL. Mes remerciements vont aussi au professeur Yves Flückiger de l'Université de Genève et à Madame Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération.
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Photo : M. Faustino

Je dois en revanche excuser l'absence de Madame Fabienne Blanc-Kühn, empêchée en dernière minute pour une raison de santé et à laquelle j'adresse tous mes vœux de prompt rétablissement.

Nous avions souhaité inviter des représentants des syndicats d'employeurs, mais tant Madame Sabine Von der Weid, Secrétaire générale de l'Union des Associations Patronales du canton de Genève, que Monsieur Blaise Matthey, Secrétaire général adjoint de la FER Genève, n'ont pu se joindre à nous pour des questions d'agenda. Ils m'ont autorisé en revanche à vous faire part de leurs regrets de ne pouvoir être présents parmi nous aujourd'hui.

Les droits syndicaux posent, dans l'ensemble des droits humains, des problèmes particuliers, qui ne doivent en aucun cas avoir pour conséquences que soit niée leur qualité de droits fondamentaux. J'aborde brièvement quelques-unes de ces problématiques dont certaines seront reprises dans les exposés ou lors de la table ronde de cet après-midi.

Tout d'abord, les droits syndicaux sont un ensemble de droits, en règle générale rattachés à la liberté de réunions et d'associations, comme le fait remarquer la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 en son article 11 qui stipule : "Toute personne a droit à la liberté de réunions pacifiques et à la liberté d'associations, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts."

Les droits syndicaux sont, dès lors, à la fois un droit individuel, celui de participer à l'action syndicale, et un droit collectif, celui des syndicats d'exister et d'agir.

Il peut même y avoir des contradictions entre le droit individuel du travailleur dans ses relations de travail et le droit du syndicat représentatif qui s'ingère dans la relation individuelle de travail. Mais tous les droits connaissent des limites et des zones de conflits, sans pour autant que puisse être niée leur qualité de droits fondamentaux.

Historiquement ensuite, les droits syndicaux ont connu leur propre évolution, leur propre structure de défense. On constatera qu'en France, les associations syndicales ont été reconnues par la loi en 1884, c'est-à-dire avant que ne soit reconnu le droit général d'association en 1901. On constate également que lors de la création de l'OIT, en 1919, le droit d'associations syndicales pour employeurs et employés est garanti par le préambule des statuts de l'organisation, alors que la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ne contient qu'une affirmation de principe.

Il en résulte que la question des droits syndicaux est spécifiquement prise en charge par l'OIT et plus rarement par les organes généralistes de défense des droits humains comme la Cour européenne.

Il en résulte aussi l'existence de mécanismes spécifiques, souvent plus efficaces pour la protection des droits que dans d'autres domaines.

Enfin, les droits syndicaux sont indissolublement liés à l'action syndicale avec tout ce qu'elle comporte de controverses possibles sur le plan politique, économique ou social, alors que la liberté d'expression, par exemple, n'est l'apanage d'aucun groupe social particulier et qu'elle est revendiquée dans tous les domaines de l'expression humaine.

Il en résulte, et le gouvernement australien de John Howard en est le triste exemple, qu'une controverse sur les revendications syndicales peut conduire à une remise en cause de l'existence même des droits syndicaux.

Or, s'il est légitime de contester un programme syndical ou une revendication salariale, jamais l'existence même du syndicat, le droit des travailleurs à être syndiqués, le droit de grève ne peuvent ni ne doivent être contestés en tant que tels : c'est dans ces cas-là une pure et simple violation des droits humains garantis par le droit international - tels l'article 11 de la Convention européenne de 1950, la Convention n° 87 de l'OIT de 1948 et la Convention n° 98 de l'OIT de 1949 - et par le droit national de notre pays et de la plupart des pays du globe.

Il convient de réaffirmer donc haut et fort que les droits syndicaux sont des droits humains, des droits fondamentaux et qu'en tant que tels ils ne peuvent "faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et des libertés d'autrui", comme le rappelle, en des termes peut-être vieillots, mais savamment pesés, la Convention européennes de 1950.

Je vous souhaite une journée d'échanges conviviaux et de débats fructueux.

Laurent Moutinot
Conseiller d'Etat



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