Swissmetal Boillat | Rapport de l'expert Jürg Müller

«Je savais que ma tâche serait très difficile»

Source : Journal du Jura
Date : samedi 17 juin 2006
Auteur : Philippe Oudot
Copyright : Le Journal du Jura
A la demande du médiateur Rolf Bloch, Jürg Müller a accepté la délicate mission d'établir une expertise sur les dysfonctionnements qui entravent la production à la Boillat et de proposer des solutions pour y remédier. Il s'en explique.
Lors de la 4e séance de médiation, qui s'était tenue le 4 avril au CIP, à Tramelan, le médiateur [Rolf Bloch avait proposé aux parties de nommer un expert technique neutre chargé de dresser un inventaire des problèmes qui entravent la production sur le site de Reconvilier. «L'objectif est de trouver un moyen pour relancer complètement le travail à la Boillat sur une base de 200 collaborateurs», avait alors déclaré Rolf Bloch.

Le 19 avril, le médiateur révélait le nom de l'expert agréé par les parties: Jürg Müller, ancien directeur de la fabrique de papier de Biberist et désormais consultant à la tête de la société de conseils MKR & Partner, à Soleure. C'est le 21 avril qu'il se rendait pour la première fois à la Boillat.

- Monsieur Müller, dans votre rôle d'expert, vous êtes un peu entre le marteau et l'enclume. Mener une telle expertise tient carrément de la mission impossible. Qu'est-ce qui vous a poussé à accepter cette tâche?


- Dans ma carrière, j'ai déjà mené à bien des restructurations à Biberist (fabrique de papier, n.d.l.r.) et en Allemagne, avec un certain succès. Dans le cas présent, je reconnais que c'est particulièrement difficile, tant les positions sont antagonistes. Pour réussir une telle opération, le facteur humain joue un rôle déterminant, et le dialogue entre le management et les employés est indispensable. Mais ça n'a pas été le cas ici, à la Boillat. J'ai donc dû commencer par gagner la confiance des ouvriers.

- Que connaissiez-vous de la situation de la Boillat avant d'accepter votre mission?

- Comme tout le monde, j'avais suivi l'affaire dans les médias. Mais quand M. Bloch, que je ne connaissais pas du tout, a pris contact avec moi, il m'a très clairement informé de la situation. C'était le mardi après Pâques. Je savais donc très bien dans quelle aventure je m'embarquais! Mais j'ai tout de suite eu envie d'essayer de relever ce défi avec M. Bloch. C'est un personnage foncièrement honnête, qui va droit au but, même s'il est très calme. Il m'avait déjà beaucoup impressionné dans l'affaire des fonds en déshérence liés à l'Holocauste.

- Avez-vous été surpris par ce que vous avez découvert à Reconvilier?

- Absolument. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment on en est arrivé à un blocage pareil. Quand il y a un problème à résoudre, il faut toujours s'asseoir autour d'une table pour en discuter et trouver des solutions. Cela suscite des tensions, mais ce dialogue est essentiel. Or, cela n'a jamais été le cas dans le conflit de la Boillat.

- Quel a été l'accueil des ouvriers, lorsque vous êtes arrivé la première fois à Reconvilier?


- Normal, même s'ils avaient une certaine méfiance au début. Pour eux, j'étais «le type qui porte la cravate, qui n'est pas des nôtres». Mais dès le départ, j'ai veillé à parler avec eux d'égal à égal, de manière ouverte et décontractée, en parlant de la famille, du football, et bien évidemment de la situation dans l'usine. Aujourd'hui, quand j'entre dans un atelier, on se connaît, on se salue. Je crois avoir pu établir avec eux des relations de confiance. Je suis toutefois bien conscient que tout ne va pas forcément leur plaire - au moins à court terme - quand ils prendront connaissance des conclusions de mon rapport. Mais je l'assume pleinement.

- Et comment avez-vous été accueilli par la direction, l'encadrement?

- D'après les bruits qui circulaient, je m'attendais à trouver des gens suffisants. Or, cela n'a pas été le cas. J'ai constaté qu'ils essayaient de résoudre au mieux les problèmes extrêmement difficiles auxquels ils étaient confrontés, sans volonté d'être arrogants, voire d'humilier le personnel comme cela a été dit. Je pense en particulier au directeur Henri Bols, une personne très ouverte. Confronté à une situation catastrophique dès son arrivée, il a très vite compris qu'il avait besoin d'un nouvel organigramme, avec des cadres issus du site de Reconvilier. Il a mené des discussions avec une délégation des 21 cadres licenciés et avec des cadres de niveau inférieur de la Boillat. Sans être parfait, un accord semblait à portée de main, mais tout a finalement capoté, notamment en raison de la solidarité entre les 21 et ceux pressentis à de nouvelles responsabilités.

- Avez-vous disposé de toute la liberté que vous souhaitiez?

- Absolument.

«Il ne s'agit pas d'avoir raison. Ce qui compte, c'est de sauver le site de la Boillat!»

- Monsieur Müller, dans vos propositions, vous soulignez que le licenciement des 21 cadres est un des problèmes qui entravent la production. Swissmetal doit donc les réembaucher?

- Oui, au moins en partie. Mais ce point est sans doute le plus difficile à faire accepter au conseil d'administration et à la direction. Sans porter de jugement sur l'engagement des cadres dans la grève, je comprends que le management se méfie d'eux, puisqu'ils ne se sont pas montrés loyaux envers le groupe. Mais d'un autre côté, Swissmetal doit bien se rendre compte que la Boillat ne peut fonctionner normalement sans ces derniers. Ou au moins sans une partie d'entre eux.

- Il faut aussi réengager les 112 collaborateurs?

- Oui, dans la mesure des possibilités et des moyens du groupe, mais je crois que cela pose moins de problème. Une partie des gens ont d'ailleurs déjà retrouvé un emploi et ne reviendront pas. Et d'autres préféreraient mourir plutôt que de retravailler dans le groupe. Mais je pense qu'environ soixante devraient pouvoir revenir sans autre. Surtout si Swissmetal accepte de réengager un responsable de site issu du sérail.

- Finalement, vos propositions sont très proches du protocole de médiation signé sous l'égide d'Elisabeth Zölch et qui avait mis fin à la grève de novembre 2004 - protocole que Swissmetal n'a pas respecté...

- En effet. Mais si le groupe ne l'a pas respecté, en particulier le point concernant le directeur industriel du site, le personnel n'est pas sans reproche non plus.

- C'est-à-dire?

- Ce protocole d'accord contient aussi un point qui stipule que les cadres et les salariés soutiennent la stratégie du groupe et participent aux projets et mesures d'intégration.

- Peut-être, mais Swissmetal s'était engagé à investir à Reconvilier! Or, déplacer la fonderie est un désinvestissement. Les gens de la Boillat se sont mis en grève parce qu'ils se sont sentis trahis!

- C'est un peu exagéré. Une stratégie n'est pas fixée pour toujours, et une entreprise doit toujours pouvoir l'améliorer. Le problème, ici, c'est qu'au lieu de modifier unilatéralement une des préconditions du protocole d'accord, Swissmetal aurait dû retourner à la table des négociations pour en discuter et faire un nouveau contrat. Economiquement, cette stratégie se défend tout à fait, mais Swissmetal n'aurait jamais dû essayer de passer en force.

- Pour vous, la Boillat peut donc très bien être le centre de finissage pour la connectique, le décolletage et les instruments d'écriture planifié par Swissmetal?

- Oui, mais à deux conditions: que l'entreprise démontre que cette centralisation est économiquement plus rentable que la décentralisation; et qu'elle garantisse un niveau de qualité donnant pleinement satisfaction au client.

- Mais en déplaçant sur d'autres sites des activités spécifiques de la Boillat, et peut-être même des machines - je pense à cette fameuse liste de 23 pages de produits commandés à Reconvilier mais dont la fabrication a été ventilée à Dornach et à Lüdenscheid -, Swissmetal ne donne pas l'impression de vouloir tenir ses engagements...

- Ce qui est sûr, c'est qu'à chaque jour qui passe sans atteindre le volume de production budgetisé, le risque de voir des machines déplacées augmente. Je ne vois pas de stratégie là derrière, mais tout simplement une nécessité économique pour répondre aux besoins. D'autre part, les transferts de production ne concernent que les produits standards. Si c'est pour renforcer le domaine des spécialités qui fait la force de la Boillat, c'est une bonne stratégie. Mais si il devait y avoir transfert de machines pour les spécialités, ce serait effectivement un démantèlement et je me serais trompé dans mon analyse.

- En attendant, le personnel n'a aucune confiance dans ce que lui dit la direction. Comment la restaurer?

- Si les deux parties sont d'accord d'essayer de retravailler ensemble, il faudra tout d'abord réapprendre à communiquer. C'est le point de départ. Car la confiance, ça ne se décrète pas, ça se construit sur la base de la vérité, de la franchise, en gardant le cap fixé sans changer sans cesse de ligne. Voilà pour la direction. Quant au personnel, il doit lui aussi jouer le jeu et être loyal envers la direction. Il faudra ensuite faire régulièrement le point de la situation pour voir si les deux parties respectent leurs engagements. C'est la raison d'être de ce groupe d'accompagnement qui sera créé afin de renforcer la confiance nécessaire. Et si c'est le cas, mais que des employés continuent à faire de la résistance, ces derniers devront en tirer les conséquences et aller voir ailleurs.

- La Boillat a donc encore un avenir dans le cadre de Swissmetal?

- Oui, j'en suis convaincu - à condition que tout le monde joue le jeu. Il faut que les deux parties prennent conscience que finalement, il ne s'agit pas d'avoir raison. Ce qui compte, c'est de sauver un site de production, et c'est là l'essentiel.

Ph. O.

Appel à la modération

Le nouveau patron de l'Economie publique Andreas Rickenbacher considère que le dossier Swissmetal est hautement prioritaire. Dès son entrée en fonctions, il a rencontré le médiateur Rolf Bloch et s'est informé en détail du dossier. Il montre ainsi combien le maintien et le développement du site de Reconvilier est important à ses yeux, de même que la recherche d'une issue au conflit de ces derniers mois.

Andreas Rickenbacher en appelle aux parties à faire preuve de responsabilité et de réalisme dans leur appréciation des recommandations présentées par le médiateur Rolf Bloch. Il est important que les parties prennent connaissance de ces propositions et les examinent avec sérieux. Le conseiller d'Etat estime qu'elles constituent une bonne base pour trouver une solution durable au conflit. Au vu de l'expérience réalisée avec le premier protocole d'accord de novembre 2004, il salue tout particulièrement la proposition de mettre sur pied un groupe d'accompagnement chargé de surveiller l'implémentation de la stratégie afin d'éviter que les propositions de l'expert indépendant ne restent lettre morte.

Sans prendre position sur la stratégie de Swissmetal, Andreas Rickenbacher estime qu'un nouveau durcissement des fronts ne ferait qu'entraîner une détérioration de la situation, sur le plan économique comme sur le plan social. Le site de Reconvilier et toute la région économique du Jura bernois en seraient affaiblis. Une mise en œuvre pragmatique des propositions du médiateur permettrait d'assurer les livraisons de Swissmetal à ses clients, de préserver les emplois et de créer une valeur ajoutée pour l'ensemble du groupe industriel et pour le site de Reconvilier. Cette mise en œuvre ne doit pas être constamment mise en péril par des activités qui rejettent la responsabilité des difficultés actuelles sur la partie adverse. Il en appelle donc à la modération. (oid)


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Actualisé le 19.11.06 par webmaster
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