Université de Neuchâtel | Journée thématique consacrée à la résolution des conflits de travail

L'affaire Boillat: un cas particulier

Source et copyright:
Le Journal du Jura
Vendredi 22 septembre 2006
Auteur : Philippe Oudot
Si la juridiction et la négociation collective restent les deux grandes voies pour régler les conflits de travail, la médiation gagne en importance. Hier, Rolf Bloch a fait part de son expérience dans le conflit de la Boillat.
Baptisé CEMAJ (Centre de recherches sur les modes amiables et juridictionnels de gestion des conflits), le nouveau centre de compétences de la faculté de droit de l'Université de Neuchâtel a consacré hier la 1re journée au droit du travail. L'intitulé était «Conflits individuels et collectifs de travail: règlement amiable ou juridictionnel?» Une bonne centaine de participants ont suivi les exposés de la dizaine d'intervenants. Médiateur dans le conflit de la Boillat, Rolf Bloch était l'un des orateurs.

Dr en droit, ancien industriel et président du Fonds en faveur des victimes de l'Holocauste, il a rappelé que le conflit était dans l'impasse lorsque Joseph Deiss a fait appel à lui. Son parcours de vie, son statut d'industriel, son bilinguisme, sa bonne connaissance du Jura bernois et ses très bonnes facultés d'écoute et de communication ont été déterminantes dans le choix de sa personne, a-t-il estimé.

Mais il n'est pas évident de se glisser dans la peau d'un médiateur, «car comme patron d'entreprise, j'ai l'habitude d'écouter les parties et de trancher. Comme médiateur, je dois écouter sans pouvoir décider. Je peux tout au plus tenter de faire progresser le processus lorsqu'il est bloqué.»

Positions inconciliables

Pour poser le décor, il a rappelé le contexte très difficile dans lequel il a dû intervenir: personnel en grève, soutenu par le syndicat d'une part, totalité de l'encadrement licencié avec effet immédiat et annonce de 112 autres licenciements d'autre part, sans oublier le rachat de Busch-Jaeger en Allemagne. Qui plus est, ce conflit n'en était pas à ses débuts puisqu'une première grève avait déjà éclaté en novembre 2004. Le mouvement avait pris fin grâce à la médiation - déjà - de la conseillère d'Etat bernoise Elisabeth Zölch, avec la signature d'un protocole d'accord.

Un accord toutefois vite considéré comme dépassé par Swissmetal. «L'accord n'a-t-il pas été tenu? La grève était-elle justifiée? La procédure prévue dans le cadre de la CCT a-t-elle été respectée? S'agit-il d'une grève illégale, ou compréhensible, compte tenu de l'accord préalablement signé? La question reste ouverte», a relevé Rolf Bloch.

Quoi qu'il en soit, ce conflit hors du commun ne portait pas sur des éléments de revendication traditionnels. Ici, c'est la stratégie du groupe, la concentration de certaines activités, l'autonomie de la Boillat, sa capacité à continuer à fabriquer et à livrer des produits pour ses clients qui étaient en cause. Or, a rappelé Rolf Bloch, selon l'ordre juridique suisse, les décisions stratégiques incombent aux directions d'entreprises, car il n'existe pas de droit de codécision des salariés. Ils ont en revanche le droit d'être informés et consultés.

Aux yeux du médiateur, c'est l'incompréhension et la méfiance entre les parties qui expliquent une telle impasse. L'origine des problèmes remonte à 1986, quand trois usines (Boillat, Dornach et Selve, à Thoune) ont été réunis au sein de la holding Swissmetal. Les sites étaient en concurrence, avec une Boillat produisant des produits très spécialisés à haute valeur ajoutée alors que Dornach avait des produits standards. D'où un sentiment de supériorité des employés de Reconvilier.

Sentiment de trahison

Aussi, à l'annonce du concept industriel prévoyant de centraliser presses et fonderie à Dornach, les gens de la Boillat se sont-ils sentis humiliés. Quand le management parlait synergie et efficacité, ils y voyaient le démantèlement, voire la suppression de leur site. «Compte tenu de la tension perceptible, ce concept industriel aurait dû être présenté avec doigté pour avoir une chance de passer.» Or, en plus des problèmes de communication liés à la langue, le CEO allemand est un spécialiste de la finance, à l'aise avec les chiffres, mais pas dans les relations humaines.

Le climat de discussion était donc très difficile à son arrivée. En premier lieu, a expliqué Rolf Bloch, il a fallu suspendre la grève pour mettre en route la médiation, condition préalable de Swissmetal à tout dialogue. Ensuite, les parties ont dû définir les points à discuter. Parmi ceux-ci figuraient: information et discussion sur la situation après la grève suite à l'achat de Busch-Jaeger, en particulier sur l'état de commandes, la charge de travail et les effectifs; rôle de chaque site dans le cadre de concept industriel y compris le rôle de la fonderie, et l'ancrage de la Boillat dans la structure de Swissmetal; autres variantes possibles; mesures d'accompagnement pour la mise en œuvre du résultat de la médiation.

Expropriation impossible

Constatant que les parties couchaient sur leur position, l'option de la vente de la Boillat a été examinée. Mais Swissmetal ayant refusé d'entrer en matière sur les propositions reçues, cette question n'était plus à l'ordre du jour dans la mesure où il n'existe pas de base légale pour obliger un entrepreneur à vendre tout ou partie de sa société: «On ne peut pas exproprier un patron».

Les parties ont ensuite constitué des groupe de travail paritaires pour tenter de normaliser la situation à Reconvilier. Mais l'idée a fait long feu et les groupes ne sont jamais réunis. Rolf Bloch a alors proposé de faire appel à un expert technique externe et neutre chargé de passer en revue les problèmes et de proposer des solutions pour que la Boillat fonctionne à nouveau correctement en sauvegardant un maximum de places de travail. Les conclusions de l'expert de Jürg Müller ont été présentées aux parties, y compris la nomination d'un groupe de suivi comprenant le médiateur, le syndicat Unia et l'association patronale Swissmem pour veiller à la mise en œuvre des recommandations retenues.

Mais en voyant le personnel hésiter, le conseil d'administration de Swissmetal a choisi de rompre la médiation tout en affichant sa volonté d'appliquer lesdites recommandations. Avec aussi un groupe de suivi, mais sans membre de la médiation.

Quelles leçons peut-on tirer de cette affaire, s'est demandé Rolf Bloch au moment de conclure. La paix du travail est-elle menacée? A ses yeux, ce conflit montre à quel point l'information et la communication sont capitales pour la bonne compréhension au sein de toute entreprise. En particulier pour les grandes sociétés où les investisseurs attendent un bon retour sur investissement. Mais la Suisse est principalement formée de PME dont les patrons sont beaucoup plus proches de leurs collaborateurs, si bien que le risque pour la paix du travail n'est pas très élevé. «Le conflit de la Boillat reste donc un cas particulier», a-t-il conclu.


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