Les patrons doivent-ils craindre les blogs de leurs employés?

Source : Le Matin Online
Date : samedi 8 juillet 2006
Auteur : Alexis Favre
Copyright : Le Matin
Nestlé et Swissmetal en Suisse, mais aussi Microsoft aux Etats-Unis ont vu leur management critiqué par leurs salariés sur des carnets de bord électroniques non signés. Forme moderne de la lettre anonyme délatrice ou nouvel outil de communication?
«Une voix pour la Boillat est née». Le 26 janvier dernier, le titre du premier commentaire posté par le mystérieux «Karl» sur son blog annonçait la couleur: les employés en grève de l'usine Swissmetal de Reconvilliers pouvaient désormais venir déballer, sous le couvert de l'anonymat, l'étendue de leur frustration face aux décisions de la direction du groupe. Et le blog est toujours alimenté aujourd'hui.

Rebelote le 16 juin dernier, avec la création du «Nestlé Suisse Real News», un blog sur lequel les salariés mécontents de Nestlé sont invités à venir faire part de leurs griefs à l'encontre de la direction suisse de la société. Avec la même garantie, celle de l'anonymat.

Ces deux exemples suisses marchent dans les pas de «Mini-Microsoft», un blog très couru outre-Atlantique, tenu par un employé du géant de l'informatique, déterminé à tout dire sur les dessous de la gouvernance du groupe et à offrir une tribune, anonyme encore, à ceux de ses collègues qui souhaitent en faire autant.

Sachant que le nombre de blogs sur la Toile avoisine les 50 millions et qu'il s'en crée la bagatelle de 75 000 par jour, le phénomène de ces blogs anonymes, qui dénoncent les dysfonctionnements réels ou supposés des entreprises, est nécessairement appelé à prendre de l'ampleur. Et les entreprises touchées seront, par voie de conséquence, de plus en plus nombreuses.

Faut-il déplorer le phénomène ou s'en réjouir?

Pour Jean-Marie Vodoz, ancien rédacteur en chef du quotidien 24 heures et médiateur du «Matin», la question est tranchée. «Je pense beaucoup de mal de ce phénomène de blogs anonymes, déclare-t-il. Notre société à tendance à survaloriser la spontanéité, et ces blogs ouvrent la porte aux irréfléchis.»

Mais n'est-ce pas un gain, en terme de transparence? «Il y a une contradiction évidente entre transparence et anonymat, répond-il. Et cette obsession de la transparence est fausse. Il n'y a pas de pouvoir sans une part de secret. Si l'employé a quelque chose à dire, il le dit franchement, ou il se tait.»

Une opinion que ne partage pas Stéphane Koch, spécialiste de la propagation de l'information sur Internet, et président de l'Internet Society à Genève. «Les cadres font une erreur en ne percevant pas que les employés ont besoin de s'exprimer. Et ceux-ci savent que s'ils le font librement, ils risquent de perdre leur emploi. Les dirigeants devraient considérer les opinions de leurs salariés comme une valeur ajoutée. Mais si les entreprises souhaitent que les employés parlent librement, je pense que l'anonymat est la meilleure solution. On pourrait même imaginer qu'une entreprise mette en place un faux blog de contestation».

Pourtant, aucune ne le fait. Pourquoi? «C'est un problème de formation du management, répond Stéphane Koch. Celui-ci est encore trop pyramidal et ne prend pas assez en compte la compétence. Dans le cas de Nestlé, il semblerait que le soutien de Monsieur Brabeck à Nelly Wenger implique l'amitié. Et cela, sur le principe, ça n'est pas bon.»

Tribunes - très - libres

Nestlé Suisse ne pense pas que ces blogs anonymes aient d'intérêt. «C'est la mission des ressources humaines que d'être à l'écoute des employés, estime son porte-parole, Philippe Oertlé; et si un simple collaborateur a eu vent d'une décision qu'il juge mauvaise, il peut en parler à son supérieur, ou écrire un mail à la direction.»

Chez Swissmetal, on n'a pas réagi officiellement au blog «Une voix pour la Boillat», même si Sam Furrer, porte-parole de la société, reconnaît en avoir pris connaissance «pour savoir ce qui se passait dans la tête des gens; mais certains propos vont beaucoup trop loin, quand ils sont en dehors de tout contrôle». Pourquoi ne pas mettre un blog à disposition des employés? «Ce serait peut-être une arme à double tranchant».

Quant à Microsoft, son service de presse ne souhaite pas s'exprimer sur le blog «Mini-Microsoft».


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Actualisé le 19.11.06 par webmaster
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