Les actionnaires croient au miracle?

Editorial de Philippe Oudot

Source et copyright :
Le Journal du Jura
Vendredi 18 mai 2007
Auteur : Philippe Oudot
Qu'on le veuille ou non, les gros actionnaires de Swissmetal vouent une confiance aveugle à Martin Hellweg et au conseil d'administration. Comme l'an dernier à Berne, ils ont plébiscité, mercredi à Dornach, tous les points qui étaient soumis à leur sagacité. Avec des majorités dignes du Soviet suprême au temps de l'ex-URSS. Les représentants de la Nouvelle Boillat ont certes pu s'exprimer, dire tout le mal qu'ils pensaient de la stratégie du groupe et du démantèlement du site le plus profitable qu'était la Boillat; ils ont pu dénoncer la dilapidation du patrimoine pour enjoliver les comptes, et accuser le conseil d'administration de tromper les actionnaires, mais rien n'y a fait: les investisseurs n'ont eu d'oreille que pour les propos rassurants du CEO et du président du groupe Friedrich Sauerländer.

C'est vrai qu'en organisant l'assemblée dans la halle qui abrite la nouvelle presse plutôt que dans un hôtel cossu, le conseil d'administration avait un argument de poids: «Vous voyez, chers actionnaires, que nous ne gaspillons pas votre argent et que malgré la grève de l'an dernier, nous investissons dans l'avenir!» Et pour mieux convaincre, rien de tel qu'une petite démonstration de la presse. Une machine qui, promis juré, pourra produire l'assortiment complet des produits spécifiques de Reconvilier et de Dornach dès 2008.

A Reconvilier, beaucoup d'anciens Boillats en doutent, estimant que cette machine n'est qu'un mouton à cinq pattes. Ont-ils tort ou raison? La réponse viendra ces prochains mois. Mais même si elle devait fonctionner comme prévu, cette presse ne fera jamais de miracles. C'est pourtant bien ce dont Swissmetal aurait besoin aujourd'hui, car à quoi bon une super machine si on n'est plus capable de produire les alliages spéciaux avec la qualité et le service qui faisaient la réputation de la Boillat? Pas besoin d'une Rolls Royce pour fabriquer des produits standards qu'on trouve ailleurs - et moins chers…

Blanc-seing des actionnaires

Les voix discordantes des membres de la Nouvelle Boillat n'ont pas pesé lourd à Dornach. Très proches du conseil d'administration, les gros actionnaires ont avalisé toutes ses propositions à une écrasante majorité.

Comme l'an dernier, des représentants de la Nouvelle Boillat ont donné de la voix mercredi, lors de l'assemblée générale de Swissmetal. Mais cette fois, ils étaient bien seuls dans la halle flambant neuve qui abrite la nouvelle presse à extrusion de Dornach où le conseil d'administration avait convié ses actionnaires. Histoire de leur montrer que la fameuse presse n'est pas une vue de l'esprit (voir ci-dessus). Sans doute échaudés par la morgue du conseil d'administration lors de l'assemblée du 30 juin 2006, les décolleteurs et le syndicat Unia n'avaient pas jugé utile de faire le déplacement. Finalement, 53 actionnaires ont répondu présents, représentant 2 522 540 voix, soit 38,3% du capital-actions.

Cela n'a pas empêché plusieurs représentants de la Nouvelle Boillat, accompagnés par une délégation des Femmes en colère, de croiser le fer avec le conseil d'administration. Tantôt en posant des questions très pointues, tantôt en dénonçant l'état de santé réel du groupe, tantôt en accusant carrément le conseil d'administration de tromper les actionnaires.

Grand ordonnateur de ce rendez-vous, le président de Swissmetal Friedrich Sauerländer est revenu sur la grève de 2006, relevant que si elle avait perturbé la mise en œuvre de la stratégie du groupe, celui-ci était allé de l'avant avec l'acquisition de Busch-Jaeger et d'Avins, et la construction de la nouvelle presse.

Le CEO Martin Hellweg a expliqué que la fabrication de produits cuivreux haut de gamme reste un pilier du groupe, mais ce n'est plus le seul. Avec l'achat d'Avins, Swissmetal veut développer ses activités commerciales en offrant à ses clients des produits fabriqués par d'autres, «car il s'agit d'une affaire très lucrative». A cela s'ajoute un troisième pilier, à savoir des produits relevant du design architectural.

S'agissant de la restructuration toujours en cours, Martin Hellweg a souligné les efforts de la direction pour mettre fin aux rivalités entre les sites, car il faut raisonner en termes de groupe. Pour cela, Swissmetal a développé un système de bonus baptisé Nordstern sous forme d'actions afin d'intéresser les cadres à la bonne marche de l'ensemble du groupe.
Lorsque Friedrich Sauerländer a ouvert la discussion, c'est Paul Sonderegger, président de la Nouvelle Boillat, qui a dégainé le premier. Au vu des piètres résultats de 2006, il s'est étonné des généreux bonus accordés au CEO et à la direction, bonus largement supérieurs à la fourchette indiquée dans le rapport. Friedrich Sauerländer a balayé le grief, soulignant que cela reflète l'augmentation de valeur du groupe.

Jean-Guy Berberat a accusé le conseil d'administration de tromper les actionnaires: sans la vente de milliers de tonnes de matière, Swissmetal afficherait des résultats largement négatifs. Sous prétexte d'optimisation des stocks, le groupe a liquidé des réserves latentes afin de présenter des comptes positifs, a-t-il asséné. Qui plus est, malgré l'excellente conjoncture en 2006, la valeur ajoutée du groupe est largement inférieure au budget (118 mios au lieu de 135 attendus). Le président a admis que la rentabilité du capital était encore loin des 9% visés, mais il a botté en touche, réaffirmant que la grève de 2006 avait plombé les résultats. Et elle pèsera sur le groupe des années encore, a-t-il averti, comme pour justifier d'éventuels problèmes à venir.

Maurice Bürki et d'autres intervenants ont relevé que la stratégie est une chose, mais la réalité en est une autre. En licenciant tous les cadres de la Boillat, Swissmetal a anéanti la capacité de développement industriel du site de Reconvilier, le plus performant. Celui-ci n'étant plus capable de livrer à ses clients les produits qui faisaient sa renommée, ceux-ci se tournent vers la concurrence. En fait, le groupe a surtout vendu des produits standards en 2006, alors même qu'il prétend miser sur les spécialités: «Vous avez détruit ce potentiel industriel sciemment ou par incompétence?», a-t-il lancé.

Martin Hellweg a écarté ces reproches, soulignant que Reconvilier n'avait pas le monopole de l'innovation et que le groupe disposait d'une équipe solide de recherches et développement. Il a lui aussi fustigé les effets destructeurs de la grève que le groupe essaie de compenser.

Quel avenir pour la Boillat?

Jean-Michel Lost s’en est pris au transfert des instruments d’écriture de Reconvilier à Lüdenscheid, alors que le site allemand n’a de loin pas la maîtrise de la Boillat dans ce domaine. Et de s’interroger sur l’incohérence entre les buts visés par Swissmetal et les moyens pour les atteindre. «Vous raisonnez avec des arguments du passé, alors que nous préparons l’avenir!», a rétorqué Friedrich Sauerländer. Selon lui, Busch-Jaeger n’a rien du canard boiteux qu’il s’imagine, c’est le site le plus productif du groupe. Et d’affirmer qu’aujourd’hui à Reconvilier, le personnel partage la stratégie du groupe. Un avis balayé par Denis Romy, qui a parlé de la démotivation du personnel, du pillage de son savoir-faire, du démantèlement en cours qui va à l’encontre des promesses faites. Le CEO s’est élevé contre ces propos, affirmant que la Boillat restera un centre de compétence pour la transformation à froid et le finissage. A condition, toutefois, que le personnel lui fasse confiance et le suive dans cette voie.

Ecrasante majorité

Si le conseil d'administration a essuyé le feu nourri des critiques de la Nouvelle Boillat, Bernhard Schürmann, s'est porté à son secours en tant qu'important actionnaire. Rappelant que «l'on vit dans la démocratie des actionnaires», il a invité les contempteurs de Swissmetal à ouvrir les yeux, ou alors à vendre leurs actions.

Comme l'an dernier, les différents points soumis à l'approbation de l'assemblée (rapport annuel, comptes annuels, etc.), ont été approuvés à des majorités dignes de l'ère soviétique: rapport annuel et comptes 2006: 99,92% de oui; emploi du bénéfice au bilan: 99,86% de oui. Quant à la décharge aux membres du conseil d'administration, elle n'a obtenu «que» 98,25%. Motif: sur les 2,5 mios de voix présentes, seules un peu plus de 300 000 ont pu participer au vote, les 2,2 mios restants étant liées au management. Comme l'a relevé Paul Sonderegger, les actionnaires «libres» présents à l'assemblée générale ne représentent en fait que 12,5% des voix.

Les participants ont encore accepté à 97% la création d'un capital conditionnel de 22,5 mios de francs. Avec celui déjà accordé en 2006 (23,5 mios), Swissmetal dispose de la flexibilité nécessaire pour financer d'éventuelles acquisitions, a souligné Friedrich Sauerländer. Enfin, le conseil d'administration a été reconduit en bloc pour une année à 99,92%.

De qui se moque-t-on?

Au chapitre des divers, Jonas Froidevaux s'en est vertement pris à la direction, qui continue d'utiliser son nom sur les confirmations de commandes et factures, alors qu'avec ses 21 collègues cadres de la Boillat, il avait été licencié avec effet immédiat en février 2006: «C'est quand même incroyable!», a-t-il dénoncé. Et pour bien montrer le cynisme de la direction, il a relevé que dans son numéro d'avril, le journal interne Swissmetal News avait adressé ses félicitations à un employé de la Boillat pour ses 45 ans de boîte. Le problème, c'est que Swissmetal l'avait licencié le mois précédent...



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Actualisé le 19.05.07 par webmaster
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