Le blog de Karl remporte la souris d'or

Le blog a permis de fédérer la résistance contre la stratégie de Martin Hellweg

Source : Journal du Jura
Date : samedi 20 mai 2006
Auteur : Philippe Oudot
Copyright : Le Journal du Jura
Un blog peut être un instrument de lutte. Celui ouvert par Karl pour les grévistes de la Boillat en est la brillante démonstration. Son créateur s'explique sur son engagement au côté du personnel.

Toutes proportions gardées, «Une voix pour la Boillat», c'est un peu Radio Londres, version 2006. Depuis le 26 janvier en effet, soit au lendemain du déclenchement de la 2e grève à la Boillat, le blog de Karl est devenu un instrument fédérateur de résistance des employés. Un succès qui ravit bien évidemment son créateur, un jeune étudiant du Jura bernois «exilé» quelque part dans une université de Suisse romande.
Connaissant bien la Boillat pour avoir des proches qui y travaillent, Karl suivait avec inquiétude la montée de la tension dans l'usine, en particulier depuis le coup de force de Swissmetal de novembre 2005 annonçant la fermeture prochaine de la fonderie et la nouvelle stratégie du groupe. Une tension qui ne pouvait pas déboucher sur autre chose qu'une nouvelle grève, «la seule question étant de savoir quand elle éclaterait», constate-t-il. «J'avais envie d'apporter ma contribution à leur lutte, car assister à ce démantèlement les bras croisés m'était insupportable.» Mais que faire? Ecrire des lettres de lecteurs? Insuffisant.

Lorsque les ouvriers se mettent en grève, le 25 janvier, Karl décide de mettre ses compétences en écriture et en informatique à leur service et crée «Une voix pour la Boillat» (www.laboillat.blogspot.com). Comme il le soulignait dans son tout premier édito, «depuis plusieurs mois, les employés de la Boillat ont reçu une interdiction de s'exprimer face à des journalistes. Je ne suis pas un employé de la Boillat, et je crée aujourd'hui ce petit blog pour ne pas les laisser dans le silence.»

Avec sérieux mais humour


Dès le départ, Karl conçoit son blog avec sérieux et rigueur, afin de pouvoir accueillir des milliers de visiteurs. Mais s'il privilégie la qualité des informations, il le fait aussi avec beaucoup d'humour en caricaturant la direction - pour le plus grand plaisir des bloggers. «C'est à la fois un instrument de lutte et un exutoire qui permet à chacun de se décharger émotionnellement et de manière anonyme.» Un anonymat qui encourage aussi les gens à participer, même s'ils sont parfois en bataille avec l'orthographe.
Comme le souligne notre interlocuteur, il s'est toujours efforcé de donner des informations de manière claire et objective, sans jamais chercher à guider - ou pire, à manipuler les gens de la Boillat. «J'ai toujours été très clair en leur disant: quoi que vous fassiez ou décidiez, je serai toujours là pour vous soutenir. C'est vous qui faites vos choix, pas moi.» C'est aussi ce qui donne une grande crédibilité à son travail, récompensé jeudi soir par l'attribution du 1er Prix au concours de blogs «la Souris d'Or», en catégorie «politique».
Au départ, Karl espérait bien sûr que le personnel se saisisse du blog comme d'une arme, mais «je me demandais si les ouvriers, pas forcément accoutumés à Internet - non par manque d'intérêt, mais plutôt par manque de moyens - allaient crocher. Avec plus de 137 000 visites sur le blog, et une centaine de messages laissés chaque jour, le résultat dépasse d'au moins dix fois mon ambition de départ!» En fait, ajoute-t-il, les gens ont compris que ce blog était à leur disposition et qu'il deviendrait ce qu'ils voulaient en faire: «Il a ainsi fédéré la résistance à Martin Hellweg.»

Un boulot à plein temps


Conscient de la lourde responsabilité qui pèse sur ses épaules, le père du blog a conçu sa plate-forme de manière très professionnelle. «Dès le moment où l'on s'engage, autant le faire le mieux possible!» Et depuis le 26 janvier, Karl passe ses jours et ses nuits à collecter des infos, les regrouper, les synthétiser pour les retranscrire sur son blog, à raison d'un «édito» par jour, pondu avant potron-minet. «Pour le moment, mes études sont un peu en stand-by...», avoue-t-il.

Dès le 1er jour, il choisit de travailler dans le plus strict anonymat sous le pseudonyme de Karl. «Ce personnage virtuel auquel je donne vie, c'est un peu moi, bien sûr, mais pas seulement. C'est plutôt la synthèse de tous mes informateurs.» Car au fil du temps, c'est une véritable petite équipe de détectives qui s'est mise au service du blog. Des gens qui, souvent, détenaient des informations dérangeantes pour Swissmetal et avaient envie de se battre, mais se sentaient isolés et impuissants. «Une voix pour la Boillat» les a aidés à mettre ensemble leurs forces pour permettre à la résistance de progresser. Il constate également qu'au travers de cette plate-forme de dialogue anonyme qu'est le blog, des gens qui n'avaient pas forcément l'occasion de discuter ensemble - les cadres et les ouvriers - se mettent à dialoguer. «On assiste ainsi à une reformulation des relations sociales», analyse-t-il.

Dans son travail quotidien, Karl essaie de délivrer un message positif, sans jamais se laisser aller au découragement. Une nécessité, car celui qui choisit la lutte doit mettre tous les atouts de son côté pour la gagner. Il constate d'ailleurs que Martin Hellweg s'est lourdement trompé en pensant pouvoir casser le mouvement. Aujourd'hui, c'est lui qui se retrouve au pied du mur, avec un groupe aux abois sur le plan financier.

Un vrai emmerdeur

Si l'anonymat du blog lui permet de protéger ses précieuses sources d'information, il l'oblige toutefois à travailler à distance, depuis son «exil» lémanique. «Je viens quelques fois dans la région, mais pas trop souvent, pour ne pas être reconnu.» Cet anonymat est aussi une excellente arme, qui déstabilise Swissmetal. Car contrairement aux autres acteurs de la résistance - syndicat, comité de soutien, etc., Martin Hellweg reçoit des coups sans savoir d'où ils viennent, ni qui renseigne l'animateur du blog. «Pour Hellweg, je suis un emmerdeur, et ce sentiment d'impuissance doit le faire enrager», jubile Karl. Un plaisir partagé par beaucoup de bloggers, ajoute-t-il.

La direction ne sait d'ailleurs pas sur quel pied danser avec ce blog - qu'elle qualifie de «forum d'Internet». Car si elle enrage de voir «Une voix pour la Boillat» fédérer la résistance, il lui arrive de reprendre des infos: à l'instar de l'interview de Martin Hellweg parue dans la NZZ du 15 avril et dont la traduction a été publiée sur le blog quelques jours plus tard. Eh bien, cette traduction a ensuite été reprise et envoyée aux cadres de Swissmetal, en précisant la source de la traduction française: une voix pour la Boillat. «J'étais mort de rire en découvrant cela. Ça montre vraiment leur bêtise...»


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Actualisé le 19.11.06 par webmaster
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