Swissmetal Boillat | L'année 2006 s'achève sur un triste bilan

La direction a anéanti l'âme des Boillats

Source et copyright :
Le Journal du Jura
Jeudi 21 décembre 2006
Auteur : Philippe Oudot
La Boillat n'est plus que l'ombre d'elle-même. L'application de la stratégie du groupe a tué la motivation du personnel - une des forces de ce fleuron industriel aujourd'hui à la dérive. L'heure est au découragement et à la résignation.
Il y a un peu plus d'une année - c'était en octobre 2005 -, la Boillat célébrait ses 150 ans d'existence. Un événement qui aurait dû être une belle fête, mais qui s'était déroulé dans une atmosphère pesante. Chacun sentait en effet peu ou prou le peu d'empressement du management à appliquer le Protocole d'accord qui avait mis fin à la première grève. Le mois suivant, le couperet tombait, avec l'annonce de la nouvelle stratégie du groupe qui prévoyait la concentration de toutes les activités de transformation à chaud sur le site de Dornach.

Malgré les avertissements de l'encadrement et du personnel dénonçant cette stratégie suicidaire, Martin Hellweg et consorts sont restés de marbre. Pour sortir de cette impasse, le personnel n'a finalement eu d'autre choix que de reconduire la grève. C'était le 25 janvier 2006. Un bras de fer d'un mois au cours duquel la direction a fait la démonstration de toute son intransigeance et de son arrogance, n'hésitant pas à licencier la totalité de l'encadrement avec effet immédiat. Et dans la foulée, d'annoncer le licenciement d'un tiers de son personnel.

Dans la douleur

Autant dire que la reprise du travail, après un mois de grève, s'est faite dans la douleur, le chaos et l'amertume. Et si, au début, certains avaient l'espoir de pouvoir encore sauver la Boillat - notamment quand Martin Hellweg avait évoqué une vente possible du site -, les employés ont vite dû déchanter. Il a tout d'abord fallu travailler avec un nouvel encadrement envoyé par Swissmetal, et qui n'était pas à la hauteur. «Jusque-là nous étions une équipe soudée, qui mouillait sa chemise pour faire au mieux son travail. Mais la motivation a rapidement chuté à zéro, chacun se contentant de faire le service minimum», indique un employé de l'usine de Reconvilier.

Et la situation n'a fait qu'empirer au fil des mois. Difficile, dans ces conditions, d'avoir du cœur à l'ouvrage, surtout avec un encadrement qui entretient un esprit de suspicion. Mais aussi un management qui, sous prétexte d'améliorer la gestion des stocks, vend la matière première et entrave la production, provoquant d'inévitables retards de livraison pour les clients.

Processus de deuil

Des retards que la direction explique ensuite comme étant une conséquence de la grève, dénonce notre interlocuteur. «En fait, «l'atmosphère était devenue tellement pourrie que beaucoup d'entre nous ont commencé à entamer un processus de deuil. Certains en sont arrivés au point de se réjouir d'avoir été licenciés pour ne plus avoir à supporter de telles conditions de travail.» Et pour ne rien arranger, cette ambiance délétère s'est traduite par des tensions au sein du personnel, entre les partisans de la résistance et ceux souhaitant plutôt une normalisation de la situation.
Dignité bafouée

De surcroît, relève ce collaborateur, le personnel a également ressenti un profond sentiment d'humiliation. «Une direction qui renvoie un tiers de son personnel et qui, dans la foulée, en réengage une partie à des conditions de travail nettement moins bonnes, c'est tout simplement écœurant», lance-t-il. Pas étonnant que plusieurs collègues aient sombré dans la déprime. «En bafouant ainsi la dignité de son personnel, la direction ne doit pas s'étonner d'avoir des collaborateurs totalement démotivés», relève-t-il.

Et un collègue d'ajouter que c'est particulièrement vrai dans les ateliers, à la production, alors que le personnel administratif est peut-être un peu moins touché: «Comment voulez-vous avoir encore envie de vous engager quand vous constatez que les produits que vous avez fabriqués et qui devraient être livrés chez le client sont liquidés chez un ferrailleur, tellement la qualité de la matière est mauvaise?...»

Comme le relève un ouvrier dans les ateliers, «on travaille désormais au jour le jour, sans trop se poser de questions. La seule chose qui nous intéresse, c'est le salaire au bout du mois. Mais à force de tirer sur la corde, on se demande quand celle-ci va rompre...»

Souffrance difficile à exprimer

Durant et après la grève, un groupe de soutien s'était constitué pour apporter une aide psychologique aux travailleurs de la Boillat. Une initiative lancée à l'instigation du pasteur de Reconvilier Marc Balz, histoire d'aider les grévistes à tenir le coup dans l'adversité. Le soutien a été apprécié par ceux qui y ont eu recours, mais ceux-ci ont été peu nombreux à le solliciter. Une retenue que le pasteur explique en bonne partie par la peur de déranger. «Même s'ils souffrent, beaucoup de gens se gênent et n'osent pas vraiment s'ouvrir aux autres», constate Marc Balz.

Pourtant, souligne-t-il, même si, en apparence, la situation semble s'être stabilisée dans l'usine de Reconvilier, l'atmosphère de travail reste très difficile à supporter sur le plan psychologique. Le mépris avec lequel les collaborateurs ont été traités et la mauvaise foi de la direction continuent en effet à peser lourd sur le moral des Boillats. Mais de là à demander de l'aide auprès du pasteur ou d'autres accompagnants, il y a un pas que peu de gens sont prêts à franchir.

En fait, beaucoup préfèrent s'adresser à un médecin pour demander un certificat médical. Il est en effet bien plus «facile» de faire passer son mal-être pour un trouble d'ordre pathologique, qu'on traite avec des médicaments, plutôt que de parler de son problème à une personne d'écoute.

Une attitude que Marc Balz comprend tout à fait. Bon nombre d'ouvriers de la Boillat ont en effet un métier physiquement très dur, et pour quelqu'un qui n'a pas la parole facile, il n'est pas évident de verbaliser les difficultés auxquelles il est confronté. Cela étant, il constate qu'un arrêt maladie est sans doute nécessaire pour reprendre des forces, mais sans un soutien psychologique, il est difficile de passer l'épaule.



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