Swissmetal | Retour sur la publication des résultats du 2e trimestre

Des résultats qu'il ne faut pas prendre pour argent comptant

Source et copyright :
Le Journal du Jura
Samedi 30 septembre 2006
Auteur : Philippe Oudot
Le 22 août dernier, Swissmetal présentait ses résultats, qualifiés de «réjouissants». Une analyse que ne partagent ni le président de l'Association Nouvelle Boillat Paul Sonderegger, ni un analyste financier contacté par Le JdJ.
Augmentation du chiffre d'affaires de 53%, valeur ajoutée brute (VAB) en hausse de 13%, et résultat d'exploitation (EBIT) bondissant de 129%: voilà, en gros, les chiffres brandis par les dirigeants de Swissmetal le 22 août dernier, lors de la présentation des résultats (qualifiés de «réjouissants») du groupe pour le 2e trimestre 2006. Mais à y regarder de plus près, la situation financière de Swissmetal n'est de loin pas aussi réjouissante que le prétend son CEO Martin Hellweg, constate Paul Sonderegger, président de l'Association Nouvelle Boillat et ancien directeur de l'usine de Reconvilier.

Tout d'abord, la progression du chiffre d'affaires n'a rien d'un exploit: elle s'explique par la flambée des cours du cuivre (de 4500 $ à fin 2005, le prix de la tonne a bondi à 7400 $ à fin juin) et des autres métaux, ainsi qu'à l'intégration de l'usine allemande Busch-Jaeger. De plus, la progression du chiffre d'affaires n'a aucune signification en soi, car une entreprise peut très bien être dans le rouge tout en ayant un chiffre d'affaires très élevé, souligne Paul Sonderegger.

On aurait pu s'attendre au double

En revanche, la valeur ajoutée brute (VAB, soit le chiffre d'affaires brut moins la valeur du métal à son coût standard) est une donnée beaucoup plus intéressante. Elle reflète en effet la création de richesse de l'entreprise. Or, la VAB du groupe n'a progressé que de 13% par rapport au 1er semestre 2005, malgré l'intégration de Busch-Jaeger - usine que Martin Hellweg avait pourtant qualifiée de «très rentable» lors de l'annonce de son rachat, le 10 février dernier. Au vu de la bonne tenue de la conjoncture économique et des capacités supplémentaires qu'offre l'usine de Lüdenscheid, on aurait été en droit d'attendre une progression de la VAB au moins deux fois supérieure, estime un analyste financier contacté par Le JdJ, et qui tient à conserver l'anonymat. En clair, l'usine allemande n'est de loin pas aussi profitable que le prétendait Martin Hellweg.

Pour le président de la Nouvelle Boillat, le CEO n'a donc vraiment pas de quoi se réjouir d'une VAB de 63 mios au 1er semestre, car elle est bien loin de l'objectif affiché ce printemps pour l'ensemble de l'année 2006, à savoir 135 mios de francs. Petite démonstration: une année compte environ 220 jours ouvrables. Compte tenu de la répartition des vacances et des jours fériés, on admet de manière globale que le premier semestre compte 120 jours ouvrables, et le second, 100.

Il manque 20 mios

Au 1er semestre, Swissmetal a donc réalisé une VAB journalière de 525 000 fr. (63 mios divisés par 120). Sur cette base, on peut donc faire une projection pour le 2e semestre, avec une VAB qui devrait avoisiner les 52,5 mios, soit un total de 115,5 mios pour l'ensemble de l'année. «On est donc bien loin de l'objectif des 135 mios pour 2006, puisque la projection est de 15% inférieure. Et Swissmetal ose qualifier ces résultats de réjouissants? De qui se moque-t-on?» assène Paul Sonderegger.

Par ailleurs, poursuit-il, il est intéressant de comparer la VAB de Busch-Jaeger et celle de Reconvilier par tonne produite. Pour les deux premiers trimestres (120 jours ouvrables), la VAB de l'usine allemande s'est élevée à 21,1 mios de francs. Elle devrait donc se situer autour de 38,7 mios pour toute l'année (220 jours). Selon le groupe, la production annuelle de l'usine de Lüdenscheid est d'environ 20 000 tonnes, la VAB par tonne avoisine donc les 1935 fr. (38,7 mios divisés par 20 000).

A titre de comparaison, la VAB par tonne à Reconvilier était, il y a peu encore, d'environ 4600 fr., soit près de 2,5 fois supérieure. Lors du rachat de Busch-Jaeger, en février dernier, Martin Hellweg avait pourtant prétendu que l'usine allemande était deux fois plus productive que la Boillat... Voilà qui permet de remettre un peu la fonderie au milieu du village.

Certes, le CEO rappelle sans cesse que les résultats du groupe ont été plombés par la contre-performance de la Boillat due à la grève: ce printemps, en présentant les résultats du 1er trimestre, Martin Hellweg avait souligné que la VAB y avait plongé de 44%, passant de 15,4 mios pour les trois premiers mois de 2005 à 8,7 mios. Avec 9,9 mios, la VAB s'est un peu améliorée au 2e trimestre, mais elle reste très en deçà des 16 mios affichés pour la même période en 2005 (voir «La grève n'explique pas tout»).

Un embrouillamini...

Dans la présentation de ses résultats, Swissmetal s'est vanté d'une progression de 129% du résultat d'exploitation (EBIT) au 1er semestre; il a atteint 6,4 mios de francs, contre 2,8 au semestre précédent. Cette présentation des choses laisse notre analyste financier plutôt perplexe, car ce chiffre contient 6 mios de bénéfices réalisés sur la vente de métaux à partir du stock. L'augmentation de l'EBIT ne reflète donc pas la hausse effective de la productivité de l'usine de Reconvilier.

Ce qui fait dire à un des membres de la Nouvelle Boillat que sans ce gain spéculatif de 6 mios, l'EBIT ne serait plus que d'un demi-million de francs. Ainsi donc, l'impressionnante hausse de 129% annoncée se traduirait en réalité par une plongée de - 82%!

Et même en tenant compte du coût estimé de la grève (4,5 mios de francs), l'EBIT n'atteindrait toujours que 4,9 mios. Soit une progression de 1,3 mio de francs par rapport au 1er semestre 2005. «Une bien maigre augmentation, sachant que la conjoncture dans la branche était et reste excellente, et que Swissmetal compte désormais trois sites de production et plus seulement deux...», constate notre analyste.

Or, comme le répète à l'envi Martin Hellweg, la conjoncture est cyclique dans la branche des semi-cuivreux. Dans ce contexte, poursuit notre interlocuteur, «si Swissmetal n'est pas capable de faire des réserves quand la situation économique est très favorable comme cette année, que se passera-t-il quand arrivera le creux de la vague?».

Rentabilité anémique

Quant au bénéfice net (EAT), il le juge très nettement «insuffisant», pour une entreprise qui compte plus de 870 employés. De surcroît, il relève que le rendement du capital est bien loin de l'objectif que Martin Hellweg avait lui-même fixé. Lors de l'assemblée générale de 2005, il avait fixé à 9% le taux de rentabilité à atteindre. Un seuil jugé indispensable pour assurer une rémunération correcte des actionnaires. Or, pour 2005, ce taux n'était que de 1,8%, indique l'analyste financier. Et dans une interview accordée au journal économique Handelszeitung du 11 juillet, Martin Hellweg avait dit s'attendre pour 2006 à un taux compris entre 0 et 5%...

Et ce n'est pas tout. Avec l'acquisition de Busch-Jaeger et les investissements en cours à Dornach (nouvelle presse à extrusion et bâtiment pour l'abriter), le cash flow disponible (FCF) a très sérieusement reculé puisqu'il a passé de 5,8 mios au 1er semestre 2005, à moins de 4,3 mios pour la même période de cette année. Or, les banques sont particulièrement attentives au FCF lorsqu'il s'agit d'accorder des lignes de crédits aux entreprises, relève notre analyste financier.

Par ailleurs, en examinant le bilan, on constate que l'acquisition de Busch-Jaeger et l'augmentation du prix des métaux ont poussé Swissmetal à s'endetter sur le 1er semestre 2006. Les fonds étrangers ont ainsi passé de 39 mios au 31 décembre 2005 à 86 mios au 30 juin 2006. Or, trois quarts de ces fonds étrangers sont constitués de dettes à court terme. Une situation qui pourrait s'avérer très délicate si les banques créancières venaient à ne pas renouveler la ligne de crédit existante. Dans ce cas, le groupe serait contraint de réduire son activité ou de vendre des actifs pour satisfaire à ses obligations financières.

Mais si Swissmetal possède encore un solide bas de laine avec des stocks dont la valeur sur le marché avoisinerait les 125 mios de francs, le groupe ne peut toutefois en disposer librement sans compromettre sa capacité à produire et à livrer des clients. En fait, cette valeur de 125 mios ne serait déterminante que dans le cadre de la liquidation du groupe, conclut notre analyste financier.

La grève n'explique pas tout

Quand Martin Hellweg pointe du doigt la grève de la Boillat pour expliquer que les résultats du 1er semestre auraient pu être nettement meilleurs, Paul Sonderegger estime qu'il s'agit d'une tromperie. La grève a certes pénalisé la VAB puisque l'usine n'a rien produit pendant un mois, mais elle ne suffit pas à expliquer que la VAB ait plongé de 15,4 mios au 1er trimestre 2005 à 8,7 mios pour la même période de 2006. Et de 16 mios à 9,9 mios au deuxième trimestre.

Après la reprise du travail, la Boillat aurait dû renouer avec les valeurs qui étaient les siennes - ou au moins s'en approcher puisque le management mis en place par Martin Hellweg était censé pouvoir remplacer sans autre les cadres licenciés et relancer la production. Or, tel n'a pas été le cas: la VAB de la Boillat au 1er semestre s'est en effet effondrée de 40%, à 18,6 mios par rapport au 1er semestre de l'année précédente. «Cette plongée n'a donc que peu à voir avec la grève, mais est due avant tout au management catastrophique de l'usine depuis la fin de la grève», constate le président de la Nouvelle Boillat.

Sur la base des chiffres de Swissmetal et en déduisant le mois de grève, Paul Sonderegger constate que la VAB journalière de la Boillat est donc d'environ 186 000 fr. (18,6 mios divisés par 100 jours). On est loin des 270 000 fr. par jour qu'affichait la Boillat ces dernières années. D'autant que cette VAB ne correspond pas à la production réelle de l'usine de Reconvilier. En effet, explique-t-il, cette somme englobe forcément la liquidation partielle ou totale des stocks en consignation chez divers clients (il s'agit de stocks qui ne sont facturés que lorsqu'ils sont mis en production chez le client). Par conséquent, la VAB correspondant effectivement à la production des six premiers mois de 2006 est forcément nettement inférieure à ces 18,6 mios, ce qui démontre bien l'étendue du désastre.
Production misérable...

Même si Swissmetal n'en dit mot, on peut toutefois évaluer la production au 2e trimestre à la Boillat en se basant sur les chiffres donnés par l'entreprise elle-même. Du 8 mai au 30 juin, le groupe a en effet publié le nombre de tonnes produit à Reconvilier dans le journal interne Boillat Hebdo que les employés ont vite rebaptisé «Torchinou». Au cours de ces huit semaines, la production s'est élevée à 1007 tonnes. En extrapolant la production sur tout le 2e trimestre, on peut donc l'évaluer à environ 1600 tonnes. Une estimation prudente puisque selon Swissmetal, la production s'est améliorée lentement depuis la fin de la grève. A titre de comparaison, il faut savoir qu'en période normale, la Boillat produisait quelque 3400 tonnes au 2e trimestre. «On voit donc que la production entre avril et juin n'atteint même pas la moitié de ce qu'elle était auparavant...», glisse Paul Sonderegger.

... VAB idem

Sur la base de cette production, poursuit le président de la Nouvelle Boillat, on constate que la VAB affichée au 2e trimestre - 9,9 mios - ne correspond pas à celle de la production effective. On peut même évaluer la valeur des stocks en consignation qui ont été liquidés.

En admettant que les produits fabriqués aient été les mêmes que l'an dernier (et aient donc dégagé une même VAB), il suffit de multiplier la production effective au 2e trimestre (1600 tonnes) par la VAB par tonne (4600 fr.). Ce qui donne une VAB effective de 7,36 mios. En clair, la valeur des stocks en consignation qui ont été liquidés devrait avoisiner les 2,5 mios de francs. «Cette opération permet donc à Swissmetal de camoufler en partie le niveau catastrophique de la production actuelle à la Boillat dont sont responsables Martin Hellweg et toute son équipe», assène Paul Sonderegger.


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