Licenciement des cadres de la Boillat

Swissmetal lâche du lest et passe finalement à la caisse

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Le Journal du Jura
Lundi 3 mars 2008
Auteur : Philippe Oudot
Durant la grève de 2006, Swissmetal avait licencié avec effet immédiat les 21 cadres de son usine de Reconvilier. Deux ans plus tard, une partie d’entre eux a obtenu une indemnisation dans le cadre d’un accord judiciaire.
Tout arrive à point à qui sait attendre. Au beau milieu de la grève de 2006, les 21 cadres de la Boillat avaient été brutalement licenciés avec effet immédiat par Swissmetal. La direction avait justifié cette mesure, suite à leur refus de se rendre à Dornach comme ils en avaient reçu l’ordre. Elle affirmait que les indispensables rapports de confiance étaient rompus. Et d’ajouter dans la foulée qu’elle n’avait aucune intention de leur accorder la moindre indemnité.

Estimant leur mise à pied injustifiée, les 21 cadres avaient alors confié la défense de leurs intérêts à trois avocats, Me Contini, Kleiner et Willemin, afin de contester la mesure et d’obtenir une indemnité. Le premier défendait les «petits» cadres, et les deux autres, les cadres supérieurs. Si, dans un premier temps, la direction de Swissmetal s’était refusée à la moindre concession, elle s’était ensuite montrée un peu plus conciliante lorsque l’affaire avait été portée devant le Tribunal d’arrondissement de Moutier.

Les parties ont finalement passé un arrangement en janvier dernier. Elles avaient ensuite un délai de 30 jours pour révoquer la convention, ce qui n’a pas été fait. Comme le souligne Me Contini, il s’agit d’une transaction judiciaire qui met fin au litige financier entre les cadres et Swissmetal – mais pas entre cette dernière et les caisses de chômage qui ont versé les prestations de chômage par subrogation (voir cicontre). En outre, le tribunal ne s’est pas prononcé sur le fond de l’affaire, à savoir si le licenciement des cadres était justifié ou non.

En fait, la procédure ne concerne pas tous les cadres, mais seulement 14 d’entre eux (sept défendus par Me Contini, et sept par les deux autres avocats). Pour deux autres, la procédure est encore ouverte. Quant aux derniers, ils ont renoncé à réclamer des indemnités, notamment parce qu’ils avaient retrouvé tout de suite un emploi.

S’agissant de l’arrangement négocié, il est le suivant: durant le mois de février 2006, les cadres avaient reçu, comme tous les grévistes, une indemnité provenant du fonds de grève. Ensuite, pour la période normale de dédite (environ trois mois), Swissmetal a accepté de compenser leur perte de salaire. Elle leur verse donc une somme correspondant à la différence entre les prestations de chômage touchées (70 à 80% du salaire selon leur situation personnelle) et leur salaire effectif, avec une petite indemnité supplémentaire. «Grosso modo, chacun va toucher de Swissmetal une somme équivalant à environ un mois et demi de salaire», relève François Contini.

S’il n’a rien de mirobolant, cet arrangement peut néanmoins être qualifié de raisonnable sur le plan financier, estime Me Contini. Et de rappeler qu’au départ, Swissmetal ne voulait pas entendre parler de la moindre indemnité. «Dans ce genre d’affaire, il faut toujours faire une pesée des intérêts. En se montrant trop gourmand, on risque de tout perdre», remarque-t-il.

Et d’ajouter que dans le cas présent, si les parties n’étaient pas parvenues à un accord, le juge aurait eu trois solutions à choix: ne rien accorder du tout; octroyer uniquement un montant correspondant à la perte de salaire, ou accorder en plus une substantielle indemnité pour licenciement abusif. «En l’occurrence, notre accord se situe entre la 2e et la 3e solution.»

Nicolas Wuillemin - président de la commission du personnel - a lui aussi été indemnisé

Figure emblématique de la lutte des employés de la Boillat, Nicolas Wuillemin avait été le premier à être licencié avec effet immédiat, quelques jours après le début de la grève. Aux yeux de Swissmetal, le président de la commission du personnel était en effet considéré comme le principal instigateur de la grève. Mais au lieu de décourager les grévistes comme l’espérait Swissmetal, cette mesure n’avait fait que renforcer leur détermination.

Estimant être victime d’un licenciement abusif, le président de la commission du personnel avait contesté la mesure et pris un avocat pour défendre ses droits. Au terme d’une longue procédure qui a duré près d’une année et demie, les deux parties ont finalement trouvé, l’été dernier, un accord à l’amiable devant le Tribunal d’arrondissement de Moutier.

Lors d’une séance, au début juillet, le juge a demandé aux parties si elles étaient prêtes à essayer de trouver un arrangement. «Etant donné que Swissmetal avait toujours balayé nos arguments, mon avocat, Me Contini, a dit au juge que ce serait sans doute impossible, mais à notre surprise, Swissmetal a accepté d’entrer en matière», indique Nicolas Wuillemin.

Au départ, il réclamait de son ancien employeur qu’il lui paie la perte de salaire subie durant la période de dédite de trois mois (donc 20%, puisque la caisse de chômage lui avait versé 80%), ainsi qu’une indemnité substantielle pour tort moral. De plus, le syndicaliste exigeait de faire valoir la disposition de la CCT qui offre aux employés qui ont une activité syndicale une protection contre les licenciements de quatre mois supplémentaires.

Après discussions, une proposition de convention a été faite sous l’égide du juge. Swissmetal a accepté de payer ces fameux 20% durant la période de dédite. Le groupe lui a aussi versé une indemnité de quelques milliers de francs, correspondant à peu près à ce qu’il aurait touché pendant la période de protection de quatre mois.

Dans un premier temps, Nicolas Wuillemin était plutôt réticent, «car je me suis toujours battu pour faire valoir mes droits pleinement, et pas qu’à moitié». Mais son avocat lui a recommandé d’accepter la proposition, car si, en cas de refus, il avait de bonnes chances d’avoir gain de cause au Tribunal de Moutier en raison du lien de proximité, les choses seraient beaucoup plus délicates si Swissmetal faisait recours et que l’affaire se jugeait ailleurs.

Après en avoir aussi parlé à un juriste du syndicat Unia, Nicolas Wuillemin a finalement accepté la proposition. «Sur le fond, c’est quand même une victoire, car en acceptant de passer à la caisse, Swissmetal a fait marche arrière et a reconnu implicitement que mon licenciement était abusif», relève-t-il.

Une interprétation rejettée par Sam Furrer, porte-parole de Swissmetal: «Nous maintenons que le licenciement de Monsieur Wuillemin était parfaitement justifié. Si nous avons accepté cet accord à l’amiable, c’est simplement pour une raison économique: cela nous coûte moins cher qu’une décision de justice.»

Aujourd’hui, Nicolas Wuillemin travaille dans une grande entreprise industrielle du Val-de-Travers depuis bientôt une année. «Mon job me plaît, il y a une bonne ambiance de travail et j’ai personnellement tourné la page. Cela dit, assister au démantèlement de la Boillat et de tout son savoir-faire industriel sans qu’on puisse s’y opposer continue de me révolter.»

Caisses de chômage : l’affaire n’est de loin pas réglée

Apparemment, Swissmetal s’en sort bien sur le plan financier avec ces transactions judiciaires. Le groupe métallurgique ne paie en effet que la perte de salaire subie par les cadres et Nicolas Wuillemin. En clair, 20 à 30% du salaire (selon leur situation personnelle) durant la période normale de dédite, à quoi s’ajoute une petite indemnité supplémentaire.

Mais Swissmetal risque fort de devoir cracher au bassinet. Un travailleur ne peut en effet être licencié avec effet immédiat qu’en cas de faute grave. En l’occurrence, la gravité de la faute n’a toujours pas été établie sur le plan juridique. Or, en vertu de la loi sur l’assurance chômage (art. 29), la caisse verse au travailleur l’indemnité de chômage pour éviter qu’il soit financièrement pénalisé. «En opérant le versement, la caisse se subroge à l’assuré dans tous ses droits (…) jusqu’à concurrence de l’indemnité journalière versée par la caisse», précise la loi.

En clair, ces prestations de chômage constituent une créance que la caisse peut faire valoir auprès du débiteur (l’entreprise) dès le moment où il est établi que le licenciement immédiat n’était pas justifié, et cela, pour la période de dédite normale.

Dans le cas présent, deux caisses de chômage sont concernées: celle d’Unia Transjurane, pour la grande majorité des personnes concernées, et la Caisse cantonale neuchâteloise d’assurance chômage pour deux autres. Responsable de cette dernière, Pascal Guillet indique que sa caisse était présente lors de la séance du Tribunal en janvier dernier à Moutier. Elle n’est pas entrée en matière pour un quelconque arrangement financier avec ses deux assurés: «Nous exigeons le remboursement de notre créance, un point c’est tout.»

Du côté de la caisse de chômage d’Unia Transjurane, on est aussi en train d’examiner comment récupérer cette créance. Lors de la séance du tribunal, la caisse était représentée par les avocats des cadres. «Nous avons procédé de la sorte pour éviter des avances de frais trop importantes», explique le syndicaliste Julien Loichat, responsable de cette dernière jusqu’en décembre dernier. Il précise qu’un alinéa de la convention passée entre les avocats et Swissmetal stipule que cette transaction ne concerne en rien la caisse de chômage, qui garde toute latitude pour faire valoir ses droits de subrogation.

Cela pourrait se faire par convention, directement avec Swissmetal, soit en poursuivant le groupe en justice. Interpellé à propos de l’accord conclu avec ses anciens cadres, et à propos de la créance que vont faire valoir les deux caisses, le porte-parole Sam Furrer s’est, comme d’habitude, refusé à tout commentaire.



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