«La grève de la Boillat fut une respiration, et un cri de malheur»

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Le Temps
Samedi 27 janvier 2007
Auteur : Serge Jubin
Il y a un an, cadres et employés de Swissmetal Boillat à Reconvilier se mettaient en grève. Le mouvement n'a débouché sur rien. Analyse avec la syndicaliste Fabienne Blanc-Kühn.
25 janvier 2006. Une nette majorité des 370 employés de la fonderie de laiton et d'alliages cuivreux Swissmetal Boillat, à Reconvilier, décide de reprendre la grève qui avait duré dix jours en novembre 2004. Très médiatisé, applaudi par ceux qui voient des employés se battre non pas pour leurs conditions de travail mais pour la sauvegarde de leur outil de production, discrédité par ceux qui ne comprennent pas qu'on mette en péril la stratégie d'une direction soutenue par son conseil d'administration, l'arrêt de travail dure 37 jours. Il interpelle jusqu'au conseiller fédéral Joseph Deiss, qui mandate le médiateur Rolf Bloch.

Malgré le soutien de la région jurassienne et de ses politiciens, les grévistes n'ont rien obtenu. Le patron allemand Martin Hellweg a remporté son bras de fer sans rien céder, profitant de licencier les cadres contestataires et plus de cent employés.

Un an après, la production a repris à «la Boillat» à Reconvilier, où Swissmetal prévoit toujours de faire un centre de «finishing», alors qu'il concentrera la fonderie à Dornach et en Allemagne, à Lüdenscheid. Combattue dans le Jura bernois, la stratégie Hellweg porte ses fruits: le cours de l'action Swissmetal est passé de 17 francs durant la grève à 28 francs. A Reconvilier, les sentiments oscillent entre résignation et colère ravalée. Analyse avec la syndicaliste d'Unia Fabienne Blanc-Kühn, très présente durant le conflit à Reconvilier.

Le Temps: Nombreux étaient ceux qui estimaient, en janvier 2006, que les jours de Swissmetal Boillat étaient comptés. Un an après, l'usine fonctionne toujours. En êtes-vous surprise?

Fabienne Blanc-Kühn: Après réflexion, non. Dans la mesure où cette entreprise a sa place sur le marché, qu'elle fabrique de bons produits et dispose d'employés de qualité. A l'époque, le pessimisme était motivé par les projets de délocalisation et les licenciements intervenus.

- La grève n'a-t-elle dès lors servi à rien?

- L'affaire n'est pas terminée, tant s'en faut. La grève a eu une vertu: elle a fait connaître l'avis des travailleurs sur un projet de réorganisation de leur entreprise. C'est nouveau. On ne peut plus, désormais, opérer de démantèlement en silence. La grève a encore montré qu'un syndicat, qui n'est pas à l'origine du mouvement, peut l'accompagner, défendre des emplois et faire des propositions réalistes. Malheureusement, la direction de Swissmetal n'a rien voulu entendre. Mais le temps nous donnera raison.

- Devez-vous reconnaître que le patron Martin Hellweg a gagné sur toute la ligne?

- Oui. Il a pris des risques, tenu son plan de marche et obtenu des soutiens financiers. Le bilan industriel est tout autre: l'usine de Reconvilier, la vache à lait du groupe Swissmetal, dont la qualité des produits était saluée dans le monde entier, se retrouve très amoindrie.

- Quel regard portez-vous sur l'action du syndicat Unia, qui a soutenu la grève, avant de forcer la main des grévistes pour qu'ils mettent un terme à leur mouvement?

- Unia n'a jamais varié dans le but poursuivi: nous nous sommes employés à maintenir des postes de travail à Reconvilier. Ce n'est pas le syndicat qui a arrêté la grève, mais la décision majoritaire de l'assemblée du personnel. La commission du personnel de Swissmetal Boillat collabore avec Unia pour continuer de défendre les travailleurs de l'entreprise.

- Durant la grève, le conseiller fédéral Joseph Deiss a désigné le médiateur Rolf Bloch. Beaucoup d'espoir et, là encore, peu de résultats. Une médiation inutile?

- Pas du tout. Le problème, c'est qu'il aurait fallu que la direction de Swissmetal, qui avait accepté le principe de la médiation, veuille avancer avec elle et faire quelques concessions. L'échec de la médiation a démontré les limites d'un arbitrage neutre, dépourvu de moyens. Il serait nécessaire de doter le processus de compétences effectives. Mais le pouvoir politique n'est pas disposé à miser sur cet outil, ni à soutenir des employés qui se battent pour sauver leur entreprise.

- Un an après, que retenez-vous de ce conflit?

- Une expérience extrêmement troublante. C'est déroutant de devoir ainsi faire face à un manager immoral, sans considération pour la production industrielle qu'il dirige. Troublante également, l'indifférence du monde politique national. La grève aura été une respiration dans un long conflit, où les relations entre patron et employés sont pourries. Si elle s'est arrêtée, les questions posées restent ouvertes. La grève a révélé un profond malaise et l'immense danger de voir un fleuron industriel disparaître par la volonté de son patron et de ses actionnaires.

- Et si le combat de «la Boillat» n'avait été qu'une lutte romantique d'un autre temps?

- C'est tout le contraire. C'est un combat tragique. Un cri de malheur.



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Actualisé le 31.01.07 par webmaster
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