La stratégie de la direction du groupe Swissmetal a brisé l’âme de la Boillat

Il y a tout juste un an, le personnel de Reconvilier se mettait en grève pour la deuxième fois

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Le Quotidien Jurassien
Jeudi 25 janvier 2007
Auteur : Dominique Bernardin
Le 25 janvier 2006, le personnel de la Boillat se réunissait. Après une large discussion, un vote était organisé pour décider de l’attitude à adopter face à la direction du groupe métallurgique. Swissmetal refusait en effet d’appliquer le protocole d’accord qui avait mis fin au premier arrêt de travail en novembre 2004.
Le résultat était clair: 186 employés se disaient favorables à une reprise de la grève, 32 s’y opposaient. Immédiatement, les machines s’arrêtaient. La Boillat entrait dans un nouveau conflit. Ce soir, une manifestation populaire marquera le premier anniversaire de cet événement.

De la reprise du travail à l’échec de la médiation


La grève a duré 37 jours, y compris ceux durant lesquels Swissmetal a empêché la reprise du travail, prétextant par exemple un inventaire. Dans l’intervalle, la médiation de Rolf Bloch avait débuté. Cette tentative de bons offices a été rompue unilatéralement le 27 juin par le groupe. Depuis la fin de la grève, la Boillat «travaille», de manière chaotique pour les employés, de façon satisfaisante pour Swissmetal.

Que reste-t-il du conflit? Fallait-il faire grève? Qu’en a-t-on obtenu? Quelle est la situation à la Boillat? Autant de questions pour lesquelles les réponses varient fortement. Deux éléments sont clairs. D’une part, le directeur général Martin Hellweg et le conseil d’administration n’ont fait aucune concession, s’accrochant rigoureusement à leur stratégie. D’autre part, des licenciements ont été prononcés, ceux de 21 cadres et de 111 employés. Certains ont été réengagés, mais aucun membre de l’encadrement.

Pour la majorité de celles et ceux qui sont encore employés à Reconvilier, rien n’est plus comme avant. «La Boillat est morte. Bien sûr, l’usine est encore là. Mais ce qui en faisait la valeur et la force n’existe plus», déclare un ancien cadre. Fleuron industriel de la région, l’entreprise avait une âme, un esprit, un savoir-faire inégalé. Swissmetal a tout détruit.

«De bons progrès ont été réalisés à la Boillat»

Chez Swissmetal, on est d’un avis différent. Interrogé par l’Agence télégraphique suisse, Sam Furrer estime que la productivité à Reconvilier a presque retrouvé le niveau d’avant la grève. Selon lui, le groupe y a enregistré de bons progrès depuis l’été 2006 jusqu’à présent. Il affirme aussi que le climat au sein de l’usine s’est amélioré et que le taux d’absentéisme s’est normalisé.

Figure emblématique de la grève, Nicolas Wuillemin conteste ces propos: «Lorsque la Boillat tournait normalement, on travaillait près de 70 tonnes de matière par semaine. Aujourd’hui, l’usine en est à 35 tonnes, parfois un peu plus. Ce qui signifie que certaines machines ne fonctionnent pas ou seulement au ralenti. D’autre part, le personnel du secteur de la fonderie a passé de 40 à 12 employés. Ils sont si peu nombreux qu’ils ne peuvent faire marcher en même temps que deux installations. Dans ces conditions, il m’est difficile de croire Swissmetal quand ils parlent de progrès.»

Sur l’avenir de la Boillat, l’ancien leader a de grandes craintes: «D’après ce qui se passe actuellement, Swissmetal vise à devenir un négociateur de matières plutôt qu’un fabricant de produits finis, un vendeur de pommes de terre plutôt qu’un producteur de frites. Si ça marche, ils vont faire de l’argent et contenter les actionnaires. Par contre, cela va supprimer de nombreux emplois.»

Pour étayer ses craintes, Nicolas Wuillemin constate que Swissmetal parle de moins en moins du transfert de la fonderie de Reconvilier à Dornach où la construction de la nouvelle presse prend d’ailleurs du retard. «Ce qu’ils veulent, à mon avis, c’est concentrer la fonderie à Lüdenscheid. Si Reconvilier devient un centre de «finishing», comme le prévoit la stratégie d’Hellweg, la Boillat recevra ses ébauches depuis l’Allemagne. Il sera alors facile de dire que les coûts de transport sont trop élevés pour limiter les activités à Reconvilier, voire pour les supprimer.»

Dans l’usine, le cœur n’y est plus. Par colère ou par résignation. La colère anime ceux qui ne supportent pas la façon dont ils sont traités par Swissmetal, abattus par cette toute-puissance de l’argent qui piétine les êtres humains. Colère encore chez ceux qui constatent un incroyable gâchis, la destruction progressive d’une entreprise florissante. Colère toujours chez ceux qui n’arrivent pas à comprendre que l’on puisse mettre à la porte des cadres compétents et engager des incapables. Colère enfin chez ceux qui ont vu un collègue licencié être remplacé par un frontalier ou un intérimaire pour qui la Boillat ne représente rien.

Colère et résignation, deux sentiments dominants

La résignation touche certains employés «par obligation». Elle concerne des ouvriers qui s’accrochent à leur travail parce que le salaire leur permet de subvenir aux besoins d’une famille. Elle anime aussi des collaborateurs qui peineraient à retrouver un emploi, par manque de compétences professionnelles ou en raison de leur âge.

Chez les anciens, c’est la tristesse qui prévaut. Ils ont connu la Boillat des belles années. Celles où le personnel formait presque une seule famille. Celles aussi où l’on était content et fier de travailler «à la fonderie» comme on appelait l’usine de Reconvilier avant qu’elle ne devienne UMS, puis Swissmetal, et n’entre en Bourse.

Quatre procédures judiciaires sont en cours ou en suspen

Swissmetal ayant refusé d’élaborer un plan social en faveur des employés licenciés de la Boillat, UNIA est intervenu auprès de l’association faîtière de l’industrie des machines, Swissmem, pour qu’elle porte l’affaire devant un tribunal arbitral. Comme nous l’a indiqué hier André Daguet, membre du comité directeur, le syndicat a effectué cette démarche sur mandat des commissions d’entreprise. Avant de siéger, un tribunal arbitral doit se constituer et se donner un président, ce qui prend du temps. UNIA espère toutefois que la procédure sera entamée dans les prochaines semaines.

D’autre part, un avocat biennois, Me Contini, est en charge du dossier des licenciements des 111 collaborateurs, licenciements jugés abusifs. Là aussi, la procédure est en cours. Il en va de même pour le renvoi des 21 cadres, lui aussi étant dans les mains d’avocats. Enfin, Swissmetal a déposé le 7 novembre devant le Tribunal de Berne-Mittelland à Laupen une plainte contre UNIA, lui réclamant 10 millions de francs de dommages et intérêts en raison de la grève.

En décembre, le groupe métallurgique a toutefois demandé au juge de suspendre temporairement le dossier. Depuis lors, rien n’a évolué dans ce cas.

Une manifestation de commémoration ce soir

Des avis très partagés sur la grève

Les avis des employés de la Boillat, anciens ou actuels, sont très divers. Pour certains, la grève a été une grosse erreur. «Au moins, on avait du travail. Tandis que maintenant, beaucoup sont restés sur le carreau.» Un ouvrier s’emporte: «Dans cette histoire, j’ai tout perdu. D’abord ma santé puis mon boulot.»

D’autres ont abandonné: «De toute façon, le sort de la Boillat était réglé. Alors, grève ou pas grève, c’est lui et ses petits copains qui décident.» Un ouvrier encore actif a lui aussi baissé les bras: «Si j’avais pu, je serais parti immédiatement. Mais à plus de 50 ans, c’est pas facile de retrouver du travail.» Nombreux sont aussi ceux qui ont besoin d’un salaire pour nourrir leur famille: «J’ai d’abord été pour la grève. Mais quand j’ai vu la tournure qu’elle prenait, j’ai changé d’avis. J’avais simplement peur de perdre mon emploi.» Restent les «purs et durs» qui, si c’était à refaire, agiraient de la même façon. Ils ont encore l’espoir que Swissmetal «se casse la figure» et que la Boillat puisse renaître de manière indépendante.


«La solidarité est notre force»

A l’appel du mouvement des Femmes en colère, une manifestation marquera le premier anniversaire de la grève du 25 janvier 2006. Elle se déroulera ce soir, dès 18 h, sur la place de parc Bellevue (derrière l’usine 1). Les orateurs en seront Nicolas Wuillemin, Jean-Jacques Schumacher, Flavio Torti et Claude Reymond. En criant «Halte à la mascarade!», les organisatrices entendent rappeler que la situation à Reconvilier n’est pas bonne et que la solidarité demeure l’élément essentiel pour que puisse souffler à nouveau «l’esprit Boillat».

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Actualisé le 26.01.07 par webmaster
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