Swissmetal Boillat | Conférence-débat dans le cadre de l'assemblée des délégués de l'USJ

Un combat à armes inégales

Source : Journal du Jura
Date : jeudi 15 juin 2006
Auteur : Philippe Oudot
Copyright : Le Journal du Jura
Le conflit de la Boillat interpelle le mouvement syndical. En dépit de leur lutte acharnée, les employés n'ont pas encore gagné grand-chose, car les moyens de lutte sont restreints.
Nicolas Wuillemin, porte-parole des grévistes de la Boillat, et Paul Rechsteiner, président de l'Union syndicale suisse, étaient les hôtes de l'Union syndicale jurassienne (USJ), hier soir à Delémont. Après la partie statutaire de ladite assemblée, ils ont participé à la table ronde qui avait pour thème: «Quel avenir pour la Boillat? Quels sont les enseignements à tirer de la grève de la Boillat pour le mouvement syndical?»
En guise d'introduction, le président de l'USJ Jean-Marc Plumey a salué la lutte des employés qui se battent depuis deux ans pour sauver leur entreprise, soulignant le caractère symbolique très fort de leur combat. S'agissant de l'avenir de la Boillat, Nicolas Wuillemin s'est montré plutôt pessimiste, les perspectives d'avenir étant plutôt sombres. «Cela pourrait se jouer aujourd'hui, lors de la séance de médiation qui pourrait être décisive», a-t-il indiqué. Mais à ses yeux, le dernier espoir de solution se trouve entre les mains du pouvoir politique. «Si on ne vote pas des lois d'urgence pour empêcher ce qui se passe, la Boillat fermera ses portes et tout le groupe avec.» Il n'existe en effet aucun contre-pouvoir pour empêcher un patron de faire ce qu'il veut avec son entreprise.

Paul Rechsteiner a quant à lui indiqué qu'il faudra dresser un bilan critique de cette affaire sur le plan syndical. Il a rendu hommage au courage des travailleurs qui ont osé se dresser contre le management de l'entreprise. C'est un signal fort, même s'il n'y a aucune garantie de victoire au bout. Mais cette grève a permis de montrer au patronat qu'il ne peut pas faire n'importe quoi.

Evoquant l'histoire de la grève en Suisse, il a rappelé que cette arme a été beaucoup utilisée au 19ème siècle et au début du 20ème, avec notamment la grève générale de 1918. Mais à partir des années 50, son usage a quasi disparu, jusque vers la fin des années 90. Il a rappelé que contrairement à une idée reçue, le droit de grève est bel et bien ancré dans la Constitution fédérale. Et de souligner que le plus grand succès récent est sans doute la retraite à 60 ans dans le bâtiment obtenue grâce à la grève.

Compromis au rabais

Nicolas Wuillemin a évoqué la difficulté du rapport de force dans le conflit de la Boillat. Jusqu'à ce jour, la grève n'a rien rapporté aux ouvriers. Si la médiation n'amène rien, ce sera une lourde défaite pour le monde ouvrier et syndical, et les patrons auront beau jeu de dire que ce sont eux qui commandent. Il n'a pas caché sa crainte de voir cette médiation se terminer par un compromis au rabais, avec une Boillat qui continue avec 150 à 200 ouvriers. «Mais ce n'est pas pour ça que nous nous sommes battus!» Il s'est dit persuadé qu'une bonne partie du personnel n'est pas près d'accepter une telle issue.

Revenant sur les moyens de lutte, Paul Rechsteiner a souligné qu'il faut trouver des moyens juridiques plus forts pour défendre l'emploi. A l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays. En particulier dans le domaine de la protection contre les licenciements collectifs et des plans sociaux, qu'il faudrait pouvoir imposer. Et d'évoquer aussi la participation des travailleurs, qui permettrait de renforcer la protection de l'emploi.

Dans ce contexte, il a également évoqué la paix du travail, que les employeurs veulent absolue. En fait, a-t-il souligné, elle n'est qu'une clause contractuelle. On doit certes s'y soumettre, mais à condition que l'autre partie respecte les droits fondamentaux garantis par la Constitution que sont le droit de grève et celui de se défendre syndicalement. Ce qui n'a pas été le cas à la Boillat. La paix du travail ne peut donc être que relative.

Il a par ailleurs évoqué le cynisme du système des caisses de pensions, dont la fortune se monte à 600 milliards de francs. De l'argent qui peut-être investi dans des entreprises et se retourner contre les travailleurs. Un avis partagé par Nicolas Wuillemin, pour qui ceux-ci doivent se préoccuper de ce qu'il advient de leurs cotisations au 2e pilier. Toujours à ce propos, une personne dans la salle a évoqué la fondation Ethos qui, dans les assemblées d'actionnaires, lutte pour promouvoir un comportement éthique.

C'est d'ailleurs l'objectif de l'association Nouvelle Boillat qui vient de se constituer. Comme l'a souligné Nicolas Wuillemin, elle ne permettra certes pas de chambouler le déroulement de l'assemblée, «mais on pourra au moins poser des questions embarrassantes et essayer de faire comprendre aux actionnaires que Hellweg ne dit pas forcément la vérité». Autre moyen de lutte évoqué par une personne dans la salle: attaquer l'image de l'entreprise, comme cela a été fait dans le cas de la chimie bâloise avec la décharge de Bonfol, ou comme le fait le blog «Une voix pour la Boillat».

L'arbre qui cache la forêt

Mais comme l'a relevé un syndicaliste, Hellweg est un peu l'arbre qui cache la forêt, car aujourd'hui, les employeurs sont de plus en plus durs et les négociations de CCT sont toujours plus difficiles. Il s'est aussi demandé s'il n'aurait pas fallu porter le combat de la Boillat aussi en Suisse alémanique A Dornach notamment. Guère possible, a constaté Nicolas Wuillemin, en raison de la différence de culture d'entreprise. Paul Rechsteiner a nuancé ce propos, soulignant que c'était aussi une question de mobilisation. A Dornach, le taux de syndicalisation des employés est beaucoup plus bas, et le syndicat n'est pas aussi combattif qu'Unia.

Mais pourquoi ne pas agir sur le plan du droit, a demandé le président Plumey, puisque la Constitution garantit la dignité des gens? Or, dans le cas de la Boillat, il y a violation de la Constitution puisque le management bafoue la dignité humaine. Paul Rechsteiner a tempéré son enthousiasme, soulignant que devant des tribunaux, il faut avoir un bon rapport de force pour avoir une chance de l'emporter.

Pour sa part, le syndicaliste Jean-Claude Rennwald a plaidé pour l'introduction de dispositions qui permette de défendre l'outil de production, surtout quand il est d'une importance capitale comme dans le cas de la Boillat. Son collègue Jean-Pierre Chapuis a souligné qu'il faut également améliorer la formation des travailleurs pour qu'ils prennent conscience de ce qui se passe. Si on veut lutter contre ces financiers et donner plus de moyens d'intervention au pouvoir politique, il faut le faire par une votation populaire. Et pour gagner ce combat, c'est un travail de longue haleine. «On ne luttera pas contre le capital d'un coup de baguette magique. C'est une question de formation d'opinion.»



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