Fête de la Boillat | Forum sur la désindustrialisation

La liberté d'entreprendre ne peut pas être absolue

Source : Journal du Jura
Date : lundi 12 juin 2006
Auteur : Philippe Oudot
Copyright : Le Journal du Jura
Avec en toile de fond le conflit de la Boillat, les quatre débatteurs se sont penchés sur les liens entre finance et industrie. Ils ont souligné la nécessité de maintenir un secteur secondaire fort.
La grande manifestation de solidarité avec les employés de la Boillat a commencé samedi matin par un grand forum organisé sous le chapiteau dressé devant l'uZine 3 et qui a réuni une bonne cinquantaine de personnes. Le débat avait pour thème: «Désindustrialisation: est-ce une fatalité? Problèmes régionaux, quelles réponses?» Les quatre débatteurs invités étaient Jean-Pierre Rérat, député radical au Grand Conseil et coprésident de la CEP; Sylvain Astier, député radical et président de la Députation; Charles-André Udry, économiste, et Jean-Claude Rennwald, syndicaliste et conseiller national jurassien (PS). C'est le journaliste Fabian Greub, correspondant régional de la RSR, qui animait les débats.

Est-ce bien juste de parler de désindustrialisation, alors que ce secteur crée le plus d'emplois aujourd'hui?, a demandé Fabian Greub. Pour Jean-Claude Rennwald, la désindustrialisation n'est en tout cas pas une fatalité: preuve en est l'industrie horlogère, qui occupait 90'000 personnes avant la crise des années 70 et a vu ses effectifs fondre à 28'000, avant de remonter à 41'000. «Cela démontre qu'avec de la volonté et des instruments adéquats comme l'arrêté Bonny, on a pu contrecarrer une telle évolution.» Cela étant, il est vrai que le poids de l'industrie a diminué.

Tertiarisation industrielle

Un constat également fait par Charles-André Udry, et qui est dû à la tertiarisation du secteur industriel. Pour être plus souples, les entreprises externalisent une partie de leurs tâches au secteur tertiaire: cela va des nettoyages à l'informatique en passant par la recherche. Le problème, c'est que le secteur industriel est celui dont l'effet de levier crée le plus de richesses dans le tissu économique. Beaucoup plus que le tertiaire. D'où l'importance d'avoir un secteur industriel fort.

Et pour sauvegarder ce tissu industriel, Charles-André Udry propose la création d'une agence de détection précoce, composée de toutes les parties prenantes (employeurs, employés, syndicats, Etat, etc.), afin de pouvoir prendre les mesures qui s'imposent. D'accord pour la détection précoce, admet Sylvain Astier, mais il faudrait avoir les moyens d'agir. Or, dans un monde qui va très vite, l'intervention des politiques au travers des lois prend trop de temps. Et de comparer le politique à un paquebot, et l'économie à une vedette rapide.

Jean-Pierre Rérat ne verrait pas non plus d'obstacle à un système de détection précoce, mais cela ne peut se mettre en place que sur le long terme. En attendant, il faut miser sur les réseaux régionaux au niveau de l'Arc jurassien, afin de développer ensemble des produits concurrentiels sur le marché mondial dans les secteurs de niche à forte valeur ajoutée. Comme a su le faire la Boillat. Et de briser une lance en faveur des clusters qui regroupent les partenaires industriels, mais aussi les centres de recherche. Dans ce contexte, il faut aussi continuer à investir dans une formation de qualité - «c'est fondamental dans notre pays dont la richesse est son capital de savoir et de connaissances».

Tout en abondant dans le même sens, Jean-Claude Rennwald a constaté que pour rester au top, il faut aussi encourager et développer la formation continue. Or, c'est un domaine qu'il est très difficile d'ancrer dans les CCT, a-t-il déploré.

Finance contre industrie

Dans le public, Maryvonne Schindelholz, membre de l'AIJ, a interpellé les débatteurs en soulignant que le problème venait aussi du fait que les mondes financier et industriel ne poursuivent pas les mêmes buts; pour les premiers, la priorité, ce sont les dividendes, alors que les patrons de PME défendent une vision à long terme de l'entreprise. Un constat partagé par Hung-Quoc Tran, ancien cadre de la Boillat, pour qui il serait temps de changer les règles qui permettent à des financiers véreux de piller et détruire des entreprises prospères en toute sérénité au nom de la liberté d'entreprise.

Une liberté d'entreprise également fustigée par Charles-André Udry. Dans un monde hyperlibéral où les financiers exigent des taux de rentabilité d'au moins 15% sur les fonds propres, la liberté d'entreprise se fait forcément au détriment du droit au travail. Celui-ci est pourtant garanti par la Charte des droits de l'homme, a-t-il dénoncé.

Pour Sylvain Astier, Charles-André Udry voit la réalité d'un seul œil, car les entreprises ne sont pas aussi libres qu'il le dit. Et quand l'OMC veut fixer des règles, ces mêmes milieux s'y opposent, a-t-il lancé. Parmi l'assistance, l'industriel Francis von Niederhäusern a aussi réagi: c'est quand même le libéralisme économique qui a fait de la Suisse un pays riche. Peut-être, mais avec une foule de travailleurs qui gagnent moins de 3000 fr. par mois, les richesses sont très inégalement partagées, a rétorqué Jean-Claude Rennwald.

Et l'expropriation?

Dans le public, quelqu'un a constaté que la propriété privée n'est pas absolue: un propriétaire d'immeuble ne peut pas faire tout ce qu'il veut. Alors pourquoi l'Etat ne pourrait-il pas exercer un contrôle sur l'économie pour empêcher des Martin Hellweg de détruire des entreprises? Une analyse partagée par Charles-André Udry, qui va plus loin: si on peut exproprier un propriétaire de terrain pour y construire par exemple une route, pourquoi pas instaurer une mesure comparable, avec un droit de préemption permettant de créer des sociétés coopératives d'intérêt public? Cela permettrait de sauver la Boillat, dont l'existence fait partie des conditions cadres de l'économie de toute une région.

Jean-Claude Rennwald a par ailleurs souligné que si les PME constituent la colonne vertébrale de l'économie de ce pays, elles ont toutes les peines du monde à trouver des financements, les banques étant extrêmement frileuses en la matière. Même les banques cantonales et régionales dont ce serait pourtant la tâche. Invitant lui aussi les banques à se montrer plus souples en matière de financement, Jean-Pierre Rérat a également souligné la nécessité de mettre à disposition du capital-risques pour les start-up et les PME qui se développent.

Avant de clore les débats, les participants ont une fois encore fustigé la politique de Swissmetal dans ce conflit, en particulier son refus de tout dialogue. «Le problème, c'est qu'on ne peut malheureusement pas faire boire un âne qui n'a pas soif», a conclu Jean-Pierre Rérat.


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